La casa comunal de Chinandega

CHINANDEGA ET LA CASA COMUNAL

Nous avons pris le microbus au marché «Israël Lewites » de Managua. Pendant que nous patientons attendant que le véhicule se remplisse, au moins 30 vendeurs ambulants proposaient toutes sortes de marchandises : nourriture, boissons, serviettes, CD chrétiens, etc, etc…

Durant le voyage, le paysage est vert, magnifique ce qui nous change de la sécheresse de l’été que nous avions l’habitude de rencontrer lors de nos précédents voyages. À l’arrivée à la gare routière de Chinandega nous remarquons que tout est mieux organisé et nettement plus propre que par le passé.

Nous sommes accueillis par notre vieille amie Ermelinda dont la famille est un peu le microcosme du pays

Nous arrivons donc chez Ermelinda qui fut marchande de fruits et légumes lors de notre première rencontre en 1986, il y a 22 ans, mais qui est bien malade maintenant. Elle souffre notamment du diabète qui est malheureusement une affection assez répandue ici.

Pour avoir quelques revenus, Ermelinda a fait l’acquisition d’un des 1.000 tricycles immatriculés dans la ville en plus des 700 taxis. Des jeunes du « barrio » la Chompa conduisent ce tricycle et ont ainsi la possibilité de gagner un peu d’argent et de ne plus être oisifs avec tous les risques que cela comporte. Nous observons effectivement que ces tricycles sont nombreux et beaucoup utilisés ; il est vrai que la ville est plate mais grande et que la marche à pied est pénible sous la chaleur…




Le lendemain de notre arrivée, nous sommes réveillés le matin par le bruit des avionnettes qui, comme lors de nos premiers voyages en 1986/1989, déversent des produits de traitement des cultures (bananes, canne à sucre, sésame, arachides) ce qui ne manque pas de nous inquiéter lorsqu’on se souvient des dommages causés par le Nemagon sur la santé des ouvriers des bananeraies, toujours pas indemnisés aujourd’hui .

Argentina et le programme gouvernemental « Usura cero »

Argentina, la fille d’Ermelinda, est diplômée en droit et exerce la profession d’avocate et de notaire à son domicile. Elle n’a malheureusement qu’une clientèle trop réduite pour pouvoir en vivre. Elle travaille donc avec un contrat à durée déterminée pour ce programme «zéro usure », dont l’objectif est de donner des microcrédits à des groupes de femmes à un taux faible pour le pays : 8 % par an, mais avec des délais de remboursement très rapprochés : chaque semaine.

Argentina sillonne donc toute la région de Chinandega sur sa moto pour recevoir les demandes, les analyser et verser les fonds de même que recevoir les remboursements. Elle nous montre ses dossiers. Ce sont des petites activités qui peuvent bénéficier de ce programme : pulperia (petite épicerie), vente de vêtements, vente de cosmétique, petite restauration.

Nous ne voyons pas dans les dossiers d’activité de production. Pour nous la problématique est la même que pour les microcrédits de la Casa Comunal. Les conditions de réussite du microcrédit comme outil de développement sont à présent bien théorisées. Elles sont au nombre de huit : 1. Les clients doivent appartenir aux catégories pauvres de la population 2. Pour que le microcrédit permette un accroissement du revenu, il faut qu’il soit employé à accroître les capacités productives (et non à faire la « soudure » financière dans un budget familial) 3. L’investissement doit être réalisé dans une activité pour laquelle il existe une demande solvable 4. Celui ou celle qui mène l’activité doit en avoir les capacités managériales et techniques 5. Le rendement des micro-activités doit être supérieur à celui d’activités nécessitant plus de capital (par comparaison aux industries off-shore des zones franches dites « maquilas » par exemple) 6. Le rendement de l’activité doit être supérieur au coût du prêt, c’est-à-dire à l’intérêt payé 7. L’investissement réalisé doit provoquer une demande de biens et services produits localement et non une importation de l’étranger 8. Il doit exister une insuffisance locale de ressources financières à investir et donc un besoin d’importation de capitaux (or certains pays à très faible revenu par tête ont des capitaux disponibles qui, simplement, ne sont pas mobilisés).

Les microcrédits du programme « Usura cero » - comme ceux de la Casa comunal - ne répondent sans doute pas intégralement à ces conditions, mais ils permettent à des groupes de femmes de se créer une petite activité, ce qui sinon leur serait impossible sans faire appel à des usuriers aux taux prohibitifs . Il faut donc espérer qu’à l’issue du programme (3 ans) ces femmes auront dégagé un revenu supérieur aux intérêts payés et que donc elles auront commencé à capitaliser pour poursuivre leur activité.

Tania et les risques de l’émigration

Il est connu que beaucoup de Nicaraguayens émigrent vers les USA et, journellement, vers le Costa Rica et que les envois d’argent à leur famille, les « remesas », d’un montant supérieur aux exportations, jouent un rôle déterminant dans l’économie du pays . Tania, la petite fille d’Ermelinda a tenté l’aventure de l’Espagne en ayant économisé ou emprunté pour le billet d’avion. Elle a trouvé à Saragosse un emploi comme garde-malade d’une dame âgée de 86 ans atteinte de la maladie d’Alzheimer pour un salaire de 800 € par mois. Progressivement, son employeur, la fille de la dame âgée, a tenté d’abuser de la situation ; elle a confisqué le passeport et le billet d’avion de retour de Tania en exigeant d’elle, sur un ton dur, de plus en plus de tâches, c’est-à-dire, en plus du soin de la malade, la lessive et le repassage du linge de toute la famille, le nettoyage, etc.

Tania n’a pas supporté ce mépris ; elle a réussi à récupérer ses papiers et au bout d’un an, elle est rentrée au Nicaragua. Les sommes dont elle avait fait l’économie en Espagne lui ont permis de commencer la construction de sa maison dans le patio de sa grand-mère.

Hannibal, un autre petit-fils d’Ermelinda avait tenté l’aventure des USA, payé le « coyote » (passeur) pour traverser la frontière mexicaine, mais il a été découvert et refoulé. Actuellement, il travaille au Costa Rica. Sa femme et son jeune enfant vivent dans la maison d’Ermelinda

La Casa comunal

Elle nous donne un sentiment de bonheur à voir dans quel état elle est maintenue, 7 ans après sa construction. Il est vrai que les murs et les poutres métalliques ont été repeints récemment - ce qui a été rendu possible par les revenus des intérêts des micro-crédits et le patio est joli comme tout. Gelsomina, Martha, nous y attendent ainsi que les membres de la commission des jeunes : Freddy, Juan, Yudith, Humberto. Mireya nous rejoint un peu plus tard, ainsi qu’Ubania.

Nous discutons librement du fonctionnement de la Casa comunal depuis notre dernière visite, du taux d’intérêt des microcrédits (voir la note n° 4) et des perspectives d’avenir.

La commission des jeunes a à présent leur projet de microcrédit, dont ils choisissent les bénéficiaires et ce d’une façon responsable et en bonne harmonie.

La légalisation du terrain n’est toujours pas acquise. Il est espéré que le candidat sandiniste à la mairie de Chinandega lors des élections du 9 novembre 2008 saura résoudre une fois pour toute cette question, tout en préservant l’autonomie de gestion de la Casa comunal .

En ce qui concerne la légitimité du Comité de direction, Mireya nous explique qu’elle avait suggéré l’organisation d’élections, mais les gens lui avaient répondu ; « Vous avez su jusqu’à présent gérer la Casa comunal, vous êtes les seuls légitimes ». La réponse à cette interrogation ancienne se trouve dans l’évolution des statuts.

L’avenir de la Casa comunal

Il pourrait être envisagé de la transformer en coopérative multiservices (épargne et crédit, services culturels, services pour les jeunes, jusqu’à la production et le travail) selon la loi récente du mois de novembre 2004 portant régime général des coopératives.

La loi exonère les coopératives de l’impôt sur les biens immobiliers et sur les bénéfices et sous certaines conditions de la TVA.

La loi créée un institut nicaraguayen d’appui aux coopératives, l’INFOCOOP .

Nous nous prenons à rêver en commun Gelsomina, Martha, Mireya, la commission des jeunes et nous sur ce que pourrait réaliser une telle coopérative : • Renforcer l’implication des bénéficiaires des microcrédits en leur demandant d’en être adhérents • Création d’activités culturelles : comme il n’existe plus aucun cinéma dans la ville pourquoi un festival de cinéma (sous réserve d’acquérir un vidéo projecteur et de louer des DVD) ? • Initiation d’une université populaire avec ateliers de poésie et de littérature, café philosophique… • Atelier de traitement de texte • ….

Et cette coopérative ne pourrait-elle pas permettre aux jeunes – membres de la commission ou non – de créer leur propre emploi ? Il faut savoir en effet que si un certain nombre de jeunes parviennent à faire des études à l’université, seule une minorité trouve un emploi à l’issue des études. Dans la commission des jeunes, Judith a terminé ses études en génie civil de l’université de Chinandega. Elle a pour le moment un travail temporaire à la mine d’or El Limon – il s’agit de construire un réservoir pour le cyanure – mais son contrat n’est que de 3 mois.

Pour que ces rêves prennent quelque réalité, il faut à présent que la « junta directiva » de la Casa Comunal s’y atèle sérieusement avec notre appui, celle d’Ada Soza et celui de l’INFOCOOP.

Les bénéficiaires des microcrédits de la Casa comunal

Nous avons l’occasion de voir plusieurs femmes qui sont des clientes anciennes. Toutes manifestent leur reconnaissance. Le fait de pouvoir emprunter régulièrement pour assurer l’approvisionnement de leur activité (fabrication de confiseries, petite pulperia, production de tortillas) est pour elle une sécurité.

L’accumulation reste cependant faible comme partout dans le quartier. L’épargne n’est par exemple pas encore suffisante pour réparer les poutres et les tuiles des toitures presque toujours en très mauvais état.




Celso Romero entraîneur d’une équipe féminine de softball

Celso Romero est le fidèle et très consciencieux gardien de la Casa Comunal est entraîneur depuis 1986 d’une équipe féminine de Chinandega. En 2008, son équipe a gagné le championnat de Bluefields. Seulement, il ne peut pas poursuivre l’entraînement faut de matériel, soit un investissement de l’ordre de 200 €. Nous intervenons auprès de la fédération française de baseball et softball pour savoir si une aide serait possible et à défaut nous ferons appel aux sportifs de Bourg St Maurice.

Depuis notre retour…

Nous avons envoyé plusieurs paquets de peluches dont un grand nombre nous ont été données par l’association des parents d’élèves PEEP et le Secours Catholique. Ces peluches sont bien arrivées et ont été distribuées aux tout-petits du quartier (il n’y en avait malheureusement pas pour tous les enfants du quartier…) lors d’une piñata qui vient d’avoir lieu, il y a quelques jours, le 27 décembre.

L’ école primaire publique Juan Batista Zelaya

Nous rendons visite à la directrice de cette grande école située en plein centre du quartier accueillant 1.330 élèves avec un effectif de seulement 50 enseignants et autres personnels.

La directrice nous confirme que l’école reçoit effectivement davantage d’appuis de la part du Ministère de l’éducation. Les salaires des enseignants ont enfin augmenté et l’argent reçu permet de couvrir les dépenses d’énergie électrique, d’eau et le matériel de nettoyage.

Le gouvernement donne également des aliments de base et les parents cuisinent les repas de midi à tour de rôle.

Il y a 5 classes de 30 élèves chacune pour les enfants qui ont commencé leur scolarité avec retard.

Mais beaucoup reste à faire. Les moyens pédagogiques dont dispose cette école primaire nous paraissent, par exemple, nettement inférieurs à ceux du CDI, même si les salaires sont meilleurs.

La directrice souhaite que l’atelier Constellation de la Casa comunal réalise une fresque à l’intérieur de l’école. Ce devrait être facilité par le fait que Reynita qui faisait partie des bénévoles de la Casa comunal est maintenant directrice adjointe de l’école.

Et puis la vie, tout simplement…

Le quartier reste très pauvre et change peu. Le pavage des rues par la ville progresse lentement ; ce n’est pas encore le cas de la rue passant devant la Casa comunal bien qu’elle soit empruntée par une ligne régulière de bus. Cependant certains habitants ont planté des arbustes devant leur maison, ce qui, avec les fleurs, apporte une petite note de gaieté. Il y a toujours beaucoup de chiens, mais ils semblent mieux nourris.

La campagne pour les élections municipales bat son plein ici comme dans le reste du pays. Les gens affichent leurs opinions, en peignant leur maison par exemple ou par des casquettes, des T-shirts et abordent facilement ce thème, sans agressivité. Le quartier reste fidèle à sa tradition de voter majoritairement sandiniste.

Nous apprenons que l’hôpital public « España » à l’entrée du quartier dispose maintenant d’appareils de dialyse

Dans ce quartier de 16.000 habitants où viennent peu d’étrangers, notre présence de « cheles » est vite signalée ; alors il nous faut bien visiter ceux que nous connaissons depuis maintenant une vingtaine d’années. Ceux qui étaient enfants alors ont tous maintenant 2, 3 ou 4 enfants.

Nous rencontrons Amanda Caceres qui avait été une des premières partenaires des brigades de solidarité venues de Hollande, Allemagne ou France. Elle a maintenant 74 ans et ne peut plus marcher. Son mari vient de mourir et la salle de séjour contient encore de grandes images religieuses de style Saint-Sulpice. Nous n’avions pas vu sa fille Amandita depuis 18 ans. Elle avait émigré au Salvador, mais est revenue avec sa fille après la mort de son mari ; elle prend désormais sa mère en charge.

Isolina Santamaria a toujours sa petite ferme à l’extérieur de la ville, mais venait juste de revenir. Sa maison semble identique en tout point à celle que nous avions connue 20 ans plus tôt. Isolina nous expose comment elle achète les semences et l’engrais pour les cultures. Elle a beaucoup de petits-enfants. Elle ne semble pas avoir beaucoup vieilli, mais elle n’a pas d’argent pour le dentiste.

Le jour de notre départ, nous passons faire nos adieux à Martha, l’une des piliers de la Casa comunal. Elle nous invite à voir son fils, âgé de 33 ans, atteint d’un cancer en phase terminale et qui venait juste de rentrer à la maison. Il est extrêmement maigre et il respire difficilement avec une bouteille à oxygène. Nous ne savons pas s’il se rend compte de notre présence et nous apprendrons plus tard qu’il est mort dans l’après-midi et que nous aurons été parmi les derniers à l’avoir vu vivant. À voir sa maison, nous voyons bien que la vie de Martha, comme d’un grand nombre d’habitants du quartier, est tout sauf facile. La disparition de son fils à un âge si jeune est d’autant plus dure pour elle.

Jorge son petit-fils poursuit des études à l’université – il étudie les mathématiques financières pour devenir actuaire – nous avions pu l’aider pour les frais d’inscription et nous sommes en contact avec lui par courrier électronique. Mais sa sœur Jessica est partie au Costa Rica où elle s’est mariée et a rompu les contacts avec sa grand-mère….