Le programme productif alimentaire au Nicaragua

Le programme productif alimentaire au Nicaragua

(Extraits et résumé de l’article de Enric Font, Rebelion du 16-12-2010)

Enric Font est Catalan et travaille depuis longtemps avec l’ONG nicaraguayenne CIPRES dont le directeur est Orlando Nuñez, lequel, à partir de l’expérience accumulée au sein de cette ONG, est l’un penseurs et concepteurs du programme.

Le Nicaragua met l’accent sur la production d’aliments, sur la souveraineté et la sécurité alimentaires, mais il le fait avec un programme révolutionnaire. Il donne aux gens, mais avec des conditions. Il s’agit d’un programme très exigeant puisque celui qui reçoit doit le rendre d’une manière ou d’une autre et parce ce qu’il tend à ce que les familles les plus pauvres du pays deviennent autonomes. Pour Orlando Nuñez, l’objectif est de combattre la pauvreté dans toutes ses expressions et réaliser les transformations sociales les plus urgentes : malnutrition materno-infantile, insuffisance alimentaire des enfants d’âge scolaire, appauvrissement de la population nationale dans son ensemble, dépendance alimentaire de l’économie et de la société nicaraguayennes, vices de l’économie capitaliste et de la société patriarcale.

Enric Font a voulu savoir comment cela se passe dans la réalité et rencontrant, avec le coordinateur d’une fédération de coopératives, des femmes en situation de formation, il raconte : « À mon arrivée, un vétérinaire était en train d’expliquer à un groupe de femmes ce qu’il faut faire lors de la mise bas d’une vache quand le veau ne se présente pas par la tête… ».

En effet, le « bon productif alimentaire » est, en grande majorité, attribué aux femmes. Il faut savoir que la paysanne nicaraguayenne doit franchir beaucoup d’obstacles. Sa vie n’est pas facile. En plus de la pauvreté, elle doit aussi supporter le patriarcat et le machisme. L’analphabétisme, le manque de ressources, l’alcoolisme et les idées religieuses dégradantes pour elle font en sorte qu’elle est souvent une personne timide, sans grande auto-estime. Que le programme cherche à lui donner le pouvoir est donc une idée révolutionnaire.

Enric Font : « À un moment de la conversation, j’ai demandé à l’une des femmes ce qu’elle pensait du fait que ce sont elles et non les hommes les bénéficiaires du programme et voici ce qu’elle m’a répondu : Tu vois... parfois les hommes s’en vont… À présent, les hommes peuvent partir quand ils veulent … Les hommes continueront à partir, mais la vache, elle, elle reste… »

La formation aborde différents aspects. D’abord la théorie puis la pratique : déparasitage et vaccination des animaux, soins des animaux malades. Toutes les femmes suivent avec beaucoup d’intérêt et attention les explications. Les plus expérimentées font des commentaires.

Les paysannes voient dans le bon productif une vraie solution par rapport à leur dépendance économique. Ce n’est cependant pas un cadeau. Elles devront travailler durement pour pouvoir rendre ce qui leur a été prêté. La production des animaux servira d’abord à couvrir les besoins de base pour la famille, le surplus sera vendu.

Par son envergure et sa conception, le programme « Hambre Cero » (Faim zéro) est, du point de vue économique, le fer de lance destiné à ce que le Nicaragua devienne une puissance alimentaire au sein de la région de l’Amérique Centrale et des Caraïbes contribuant ainsi à la sécurité et la souveraineté alimentaire des pays de l’ALBA.

Ce programme combat l’injustice sociale présente dans le pays depuis l’époque coloniale et qui s’est traduit par un ensemble de relations inégalitaires comme l’inégalité entre hommes et femmes, entre ville et campagne, entre travail manuel et intellectuel, entre les possédants et les dépossédés, entre les différentes ethnies ou nations (blancs, métisses, peuples indigènes, descendants d’Africains)

Durant les années de gouvernements néolibéraux, les paysans n’avaient plus accès au crédit, les chemins pour sortir les récoltes n’étaient plus entretenus, les budgets pour l’éducation et la santé en milieu rural étaient en nette diminution. On a ouvert les portes à l’importation d’aliments et les droits de douane sur les importations passèrent de 50% à 5% ce qui permit aux pays étrangers d’envahir le marché avec des produits subventionnées par leur gouvernement.

En 2006, à la fin du gouvernement néolibéral, le Nicaragua a importé des aliments pour 350 millions de $US : du riz, du maïs blanc et jaune, de la viande, des œufs, du lait en poudre, des légumes, des fruits etc (75 millions de $US pour les seuls grains de base : riz, maïs et haricots). Mais au cours de cette même année, les paysans étaient tombés dans une pauvreté sans précédent touchant jusqu’à 80 % d’entre eux.

Qu’est-ce le Bon Productif Alimentaire ?

Il s’agit d’attribuer un ensemble de biens, parmi lesquels des animaux (vache, cochon, volaille) ainsi que les semences, pour produire leur alimentation, des arbres destinés à produire des fruits et pour la reforestation, des plantes médicinales, des aliments pour les animaux durant les premiers mois, un bio digesteur pour produire du gaz avec le fumier des animaux. Les bénéficiaires reçoivent aussi une formation. Le « bon productif » implique également le développement de la démocratie directe dans les foyers et la communauté, l’agro-écologie et la protection de l’environnement, la démocratisation du crédit, la commercialisation et l’agro-industrie.



La remise des bons s’effectue après la sélection des familles par les Conseils du pouvoir citoyen. Ces familles seront regroupées par cinquante dans la même commune (il y a 153 communes au Nicaragua) Les familles paysannes sont choisies en fonction de leurs conditions sociales et économiques sans tenir compte de leurs opinions politiques ou religieuses.

Pour obtenir un bon productif il faut :

1. Que la famille donne son accord pour le recevoir en nature et non en argent 2. Que la femme en soit le bénéficiaire afin de garantir la durabilité du projet 3. Que la bénéficiaire soit une petite productrice et dispose d’une petite parcelle 4. Que celle-ci ne soit pas déjà en possession d’une vache, de plus d’un cochon et de plus de 5 volailles et qu’elle prenne les engagements suivants : 5. À ne pas vendre les animaux pendant les premières années 6. À rembourser une partie du capital (5.000 cordobas) afin de créer un fonds de crédit. Ainsi chaque groupe de 50 femmes disposera de 250 000 cordobas pour l’administration de la coopérative. 7. À participer à une formation complète 8. À participer à la construction d’étables et de porcheries, à protéger l’environnement et à utiliser les méthodes de production proposées (utilisation des semences améliorées, aliments combinés, lombriculture, reforestation, amélioration de l’alimentation et de la santé animale, recyclage artisanal, autres) 9. À envoyer ses enfants à l’école et à accepter les programmes de vaccination et de nutrition offerts par le gouvernement 10. À s’associer aux réseaux de commercialisation, à la gestion d’installations agroindustrielles à petite échelle pour augmenter la valeur de la production coopérative et à respecter les droits humains sans descriminations.

La stratégie du programme « Hambre Cero » (Faim zéro)

Il se déroule en trois étapes avec en premier le Bon Productif Alimentaire faisant donc partie du plan à moyen et long terme. Il doit contribuer à l’approvisionnement alimentaire et, entre autres, à épargner des devises ainsi qu’aux exportations.

Les différentes étapes se décomposent ainsi ; - Sélection des familles bénéficiaires - Réunion de 50 familles en coopérative - Plusieurs coopératives s’unissent en une centrale de coopératives - Les centrales forment une fédération de coopératives

Le programme « Hambre Cero » implique un changement radical de la pensée en donnant à la campagne la même priorité qu’à la ville, la même priorité à l’économie populaire qu’à celle des entreprises, aux femmes la même importance qu’aux hommes, à la nature la même importance qu’à la croissance. Il donne la préférence à l’augmentation de la production sur l’extension des terres de culture et il donne autant d’importance (voire davantage) à l’enseignement technique qu’à celui que l’on destine aujourd’hui aux professions libérales.

Mais il promeut également :

a) La diversification des cultures et l’agroécologie : Si les gouvernements néolibéraux ont toujours favorisé le modèle de la monoculture destinée à l’exportation, les paysans – du fait de la diversification des cultures – ont toujours davantage respecté l’environnement. Différents programmes les incitent à la culture biologique, à la reforestation, à veiller sur les sources, à recycler les déchets b) Les associations et les systèmes agroalimentaires : Le fait de s’associer permet aux paysans de profiter des crédits, du stockage, de la commercialisation, ainsi que de formations. Ils deviennent ainsi une force face aux grands exploitants agricoles… c) La démocratie politique, économique et culturelle : Le programme productif alimentaire se réfère à la démocratie telle qu’elle est prévue dans la Constitution, c’est-à-dire l’égalité des citoyens, le droit de s’organiser etc. Ce n’est donc pas par hasard que la priorité est donnée aux familles paysannes pauvres et en particulier aux femmes.

Les résultats

Le Bon Productif Alimentaire est attribué depuis trois ans. En 2009, 13 951 femmes et leurs familles en ont bénéficié et en 2010 elles furent 15 858. Depuis 2007 cela représente un total de 63 580 femmes. La Radio La Primerisima affirme que 64% des bénéficiaires se sont regroupées en 798 groupes et qu’elles ont ainsi réussi à épargner et ouvrir un fonds de micro-crédit de 20 millions de cordobas.

À la Côte Atlantique, plus de 5 500 communautés ont reçu 8 387 bons productifs.

Selon un rapport de l’ONU (2009), les femmes ont ainsi eu accès à une meilleure alimentation, ont garanti l’assistance de leurs enfants à l’école, ont eu des revenus plus stables, ont réussi à mieux s’organiser et à participer au développement de la communauté.

D’autres programmes s’ajoutent et complètent cet effort du gouvernement pour réduire la pauvreté. - Le programme « Usura Cero » - L’alimentation scolaire - Le programme de développement rural qui attribue des aliments en contrepartie d’une formation et de travail dans les zones sèches. Des aliments sont aussi distribués après les catastrophes naturelles. - Des actions de sécurité alimentaire pour les enfants de moins de 6 ans et pour les femmes enceintes.

Je voudrais terminer par le récit de Eva, une amie nicaraguayenne qui travaille pour le gouvernement et qui a régulièrement des contacts avec des familles rurales. Récemment elle a visité une famille qu’elle avait déjà vue il y a deux ans, et dont la situation était déplorable : enfants rachitiques, ambiance triste, bref la misère. Depuis la famille a pu augmenter le cheptel, diversifier les cultures etc. etc. Mais elle dit que ce qui lui a fait le plus plaisir c’était de voir les enfants gais et en très bonne santé.