Impression de séjour au Nicaragua de Philippe

Après avoir travaillé presque 2 ans entre 1989 et 1990, je suis retourné au Nicaragua quasiment tous les 2 ans entre 1992 et 2007. Au cours de tous ces séjours, jamais, je n’ai eu l’impression que la situation économique s’améliorait, comme si aucun des gouvernements successifs : sandiniste, libéraux (Chamorro, Aleman, Bolanos) n’avait été en mesure de changer les paramètres d’une équation qui voue la plupart des Nicaraguayens à une vie de subsistance.

En 2007, peu de temps après le retour au pouvoir de Daniel Ortega, la situation m’avait semblé encore plus compliquée et floue. Les coupures d’électricité traduisaient l’absence de devises et d’investissement pour couvrir les besoins du pays. Et la question de la gouvernance du Nicaragua se posait : Comment un président élu avec seulement 38% des voix allait faire fonctionner une société clivée entre une minorité qui détient les clés de l’économie et une majorité qui cherche comment subsister? Et donc, en 2011, dans un contexte de crise économique mondiale, je ne m’attendais à rien de bon.

En traversant la capitale, Managua, juste après mon arrivée à l’aéroport et en route pour Leon (à 2 heures de voiture au Nord), j’ai été surpris. L’activité commerciale paraissait plus forte que jamais. Les routes étaient en meilleur état. Les zones franches et leurs « maquinarias » n’avaient pas fui le Nicaragua malgré 4 années d’un gouvernement à priori « anti-capitaliste ». Bien sûr, les traditionnelles propagandes à l’effigie du président bordaient la route et le visage de Daniel Ortega avait remplacé ses prédécesseurs mais les affiches avaient un ton beaucoup plus neutre, moins partisan. Le sigle du Front Sandiniste y occupait une place bien modeste au milieu de slogans consensuels (démocratie, socialisme, paix, amour, réconciliation..) Ma première impression a donc été positive, mais cette amélioration a piqué ma curiosité. Je ne comprenais pas comment cela avait pu se produire? Au fûr et à mesure des jours et semaines suivantes, de nouvelles informations me parvenaient. Je constatais la disparition des coupure d’électricité, les actions en faveur des campagnes, de l’éducation et de l’université. En même temps, j’apprenais qu’une multinationale comme Nestlé avait délocalisé des productions du Salvador voisin vers le Nicaragua et non pas l’inverse. Son usine d’empaquetage de lait en poudre s’agrandit près de Matagalpa, dans le cadre de la globalisation. Elle emballe par exemple du lait en poudre en provenance de Nouvelle Zélande. Un autre exemple, la famille Pellas, une des plus grandes fortunes privées du Nicaragua investit dans un grand projet touristique sur les rives du lac Nicaragua. Ou encore, des investisseurs Nicaraguayens et Canadiens sont sur le point d’ouvrir des lignes aériennes intérieures avec une flotte neuve d’hydravions (atterrissant sur les lacs et le Rio San Juan). Mais quelle mouche les a tous piqué ? Quel est ce savant mélange de Sandinisme et d’économie libérale globalisée ?

Après un certain temps, j’ai fini par comprendre que le fait nouveau était le pétrole Vénézuelien. Et comme partout ailleurs dans le monde, le pétrole rime avec argent, pouvoir et politique. Dans le cadre de l’accord ALBA avec le Venezuela, la société ALBANISA a été créée au Nicaragua. Cette société reçoit le pétrole en ne le payant au comptant que moitié prix. L’autre moitié est à payer à crédit à long terme, dans 20 ans je crois. Je ne suis pas capable de confirmer si cette société est publique ou privée. Les milieux d’opposition disent qu’elle est privée et que parmi ses actionnaires apparaissent certains membres de la famille de Chavez et des porte-noms sandinistes masquant des membres de la famille de Daniel Ortega. Ceci étant ou pas, ALBANISA a investit dans de nouvelles centrales thermiques afin de palier à l’absence d’électricité et vend l’électricité produite à Union Fenosa (Disnorte-Dissur).

Ce qui me parait évident est que l’apport de pétrole par Hugo Chavez donne des moyens économiques importants au parti de Daniel Ortega et que celui-ci n’a pas l’intention de les voir lui échapper en cas de changements politiques. Je crois donc qu’effectivement le parti d’Ortega gère l’aide de l’ALBA sous une forme semi-privée afin d’en garder le contrôle si des changements politiques survenaient que ce soit au Venezuela ou au Nicaragua. Il faut aussi préciser qu’au moins une partie des bénéfices réalisés par ALBANISA sert à financer des programmes sociaux concrets. Par exemple, l’électricité est subventionnée (-40% sur la facture de ma belle-soeur à Leon). Des primes ont été distribuées aux fonctionnaires de l’état, etc… Programmes sociaux selon les sandinistes ; clientélisme politique avant les élections selon l’opposition.

Sur le plan politique, le calme social que le partie sandiniste est capable de garantir, m’a semblé convenir au secteur privé qui investit. Le COSEP (équivalent du Medef qui était jadis très politisé) est devenu étrangement calme et absent de la scène politique. Le Cardinal Obispo, ex-farouche opposant des sandinistes, est devenu un soutien religieux d’Ortega. D’autre part le parti libéral est toujours divisé grâce à l’alliance (el pacto) qu’Ortega a maintenu avec Arnoldo Aleman (ex président libéral condamné pour corruption, mais laissé en liberté…). Cette alliance contre-nature sert clairement à diviser l’opposition afin de permettre la réélection de Daniel Ortega pour un 3° mandat…

Sur le terrain, le parti sandiniste, faute d’être majoritaire au parlement a activé des comités de pouvoir citoyen comme contre-pouvoirs locaux. Ces comités font penser aux comités de défense sandinistes du temps de la révolution. Surtout quand le passage par ces comités est parfois nécessaire pour accéder à un emploi dans les entreprises proches du Parti ou pour avoir plus facilement une carte d’électeur….autant de constats troublants jetant toujours un doute sur la politique de Daniel Ortega : Pragmatisme, intelligence politique, compromis ou compromission ?

A la fin de mon séjour, mon impression est mitigée. Il y a trop de paradoxes dans la société nicaraguayenne et d’observations contradictoires pour dire que j’y vois clair. Je crois quand même que la situation économique a commencé à s’améliorer comme jamais au cours des 20 années précédentes. Cette amélioration est à mon avis en grande partie liée à l’afflux du pétrole Vénézuélien via l’ALBA. La richesse générée par cet or noir apporte au Parti de Daniel Ortega un financement mais sa gestion doit sans doute être questionnée. Y a-t-il enrichissement personnel d’une partie de l’entourage de Daniel Ortega ?

Ceci dit, une partie importante du secteur privé semble parfaitement satisfait avec cette situation et une partie des couches les plus modestes semble aussi profiter d’une amélioration. Mais quel sera l’avenir du Nicaragua en cas de changement de politique au Venezuela ?

Philippe François