Liberté et monde indigène

Liberté et monde indigène

Extraits d’un article de Margot Bremer, Paraguay

Agenda Latinoamericana 2014

Les peuples originaires à la recherche de leur liberté

Le pire de la conquista, il y a plus de 500 ans, ne fut pas le pillage de leurs biens et de leurs terres, mais la spoliation de leur liberté. Ils conçoivent la liberté à partir de leur cosmovision, tellement différente de la culture occidentale. Ils ne conçoivent pas leur liberté à partir de la conviction d’être le centre et le maître du monde, mais en en faisant partie, formant un tout avec le cosmos.

Selon un mythe guarani, le Créateur, dans sa grande solitude, a créé la parole, fondement du langage humain…… Après, il a réfléchi pour voir à qui il pouvait donner cette part de lui-même et il a créé les êtres humains.

Ainsi, chaque Guarani s’identifie comme un fragment de la divine parole qui est son « âme ». Logiquement, il se conçoit aussi comme un fragment de sa communauté à laquelle il apporte sa « petite part » à la construction de l’ensemble et qui est unique….

Liberté ne signifie pas pour ce peuple indépendance, mais interdépendance à partir d’une vision globale communautaire

.

Partie de la communauté, ils se sentent aussi partie de la nature et du cosmos. Cette interprétation de leur être fait qu’ils se sentent proches des plantes, des animaux, de la terre et des étoiles. Loin de se considérer comme des maîtres de tout cela, ils savourent la liberté de pouvoir apporter leur part unique à la composition d’une symphonie de vie dans laquelle chacun a son chant, son don, sa parole, pour être entendu et pour écouter.

La vision d’être le fragment d’un ensemble leur permet de savourer la liberté d’entrer dans une relation de réciprocité : donner et recevoir.

Au lieu de se sous-estimer, à cause de leurs limites, ils peuvent être complétés par d’autres et compléter les autres. Ils peuvent jouir de cette interdépendance parce que leur horizon n’est ni anthropocentrique, ni égocentrique, mais holistique.

À partir de cet horizon ouvert naît leur interprétation de tous les autres domaines de la vie en commun , qui se concrétise dans le système de réciprocité, aussi bien au niveau religieux qu'économique, dans l’organisation du travail commun (las mingas), dans la prise de décision en commun pour trouver un consensus dans les assemblées.

Le principe est toujours de ne soumettre personne mais de respecter la part unique que chacun peut apporter à la vie en commun. Quand la communauté vit en liberté, chacun peut être respecté dans sa propre liberté.

L’utopie de chaque communauté est d’atteindre la plénitude de la vie. Être différent n’est pas motif d’exclusion, tout au contraire, puisque la conscience d’être un fragment particulier favorise le sens d’ouverture et l’inclusion. L’ »autre » est le bienvenu pour la complémentarité mutuelle….

Éduquer à la liberté

La liberté ne s’apprend pas avec une doctrine, mais par l’expérience, accompagnée de réflexions de personnes libres. Les enfants indigènes vivent dans leur communauté un climat de liberté qui les aide à trouver  le principe fondamental de la vie…


Le mythe guarani, appelé « les jumeaux » présente deux frères orphelins en quête de la « terre sans maux ». Ils apprennent à surmonter les difficultés de la vie qui se présentent sur leur chemin et développent leur intelligence et leur savoir à partir de la lutte permanente pour la vie, qu’ils apprennent à valoriser dans sa forme communautaire. Par ce cheminement, ils créent une culture de liberté, la culture guarani, à partir de laquelle les enfants construisent leur identité. Leur maître leur transmet les savoirs des ancêtres pour les adapter ensuite aux temps qui changent. Il s’agit d’une éducation de la création qui est seulement possible quand la liberté est respectée…. Leur but est de chercher ensemble la « terre sans maux » par une vie de réciprocité entre égaux….

Nous voyons que le principe fondamental de la liberté dans le monde indigène consiste en ce que les Guaranis appellent le « jopoi », qui signifie « ouvrir les mains mutuellement dans un donner et recevoir en alternance avec la pleine conscience que chacun est un fragment »

Cette façon de construire et de maintenir la liberté est encore présente et vivante dans le monde indigène d’Abya Yala (le nom amérindien du continent américain). Il nous est offert comme héritage millénaire dans notre recherche d’une « Terre sans maux » qui réclame d’urgence une sortie du monde capitaliste, de consommation, et anthropocentrique, qui nous opprime et nous rend esclaves.

Les peuples originaires de ces terres nous invitent – au milieu des forts vents néolibéraux du Nord – à entrer en dialogue, afin de pouvoir nous complémenter réciproquement et, ensemble, arriver à plus de liberté.