Les étudiants et la protestation

Introduction de Ruth, présidente d’INTI Solidarité Nicaragua :

Autant que je comprenais les revendications des étudiants il y a quelques années pour obtenir le que 6% du budget national du Nicaragua soit affecté au financement des universités ce qui fut effectivement obtenu, autant, j’ai de grandes difficultés à comprendre leur implication d’aujourd’hui dans la déstabilisation, la destruction des locaux et des équipements destinés à l’enseignement ainsi que dans le blocage de l’année universitaire.

C’est pour cette raison que je crois nécessaire de vous faire part de larges extraits de l’interview réalisée le 1er août 2018 par Alex Anfruna, journaliste, de Luis Manuel Andino Paiz, président de l’Union nationale des étudiants du Nicaragua (UNEN)

Rappel des faits

L’Université National Autonome du Nicaragua (UNAN-Managua) était occupée et des barricades érigées aux alentours depuis le mois de mai jusqu’au 13 juillet date à laquelle elle fut finalement évacuée par les forces de l’ordre, ce qui a donné lieu à quelques arrestations mais aussi à de nouvelles protestations de la part des étudiants

L’évacuation de l’Université UNAN eut lieu lorsque des personnes retranchées derrières ces barricades se mirent à attaquer avec violence des militants sandinistes célébrant le « repliegue » (repli de Managua à la ville de Masaya décidé par les forces sandinistes en lutte contre la « guardia » de Anastasio Somoza, peu de temps avant la victoire finale du 19 juillet 1979). On s’est aperçu alors que ces personnes n’étaient pas toutes des étudiants, loin s’en faut, mais étaient surtout composées de bande de délinquants (pandilleros) souvent sous l’emprise de la drogue. Quant aux étudiants présents, on peut dire qu’ils ont perdu de fait leur statut d’universitaire en participant au saccage voire à la complète destruction de certains locaux et des équipements qu’ils contenaient ou en s’en rendant complice.

Il faut ajouter que si la police a fait évacuer les locaux, elle ne s’est pas livrée à des actes de répression car les occupants des barricades purent s’enfuir et se réfugier dans une église proche et poursuivre les actes de harcèlement.

Luis Manuel Andino Paiz considère que l’occupation d’universités pour de longues périodes représente une violation des droits humains universels tels que le droit à l’éducation et au travail. De plus les occupants se livrèrent à des intimidations pour empêcher la libre circulation et engendrer la peur sur le campus ainsi que dans les quartiers d’habitations des environs.

Question : quelles conséquences a eu cette occupation sur la vie universitaire ?

Au total les dommages causés sont immenses : outre que les étudiants ont perdu 3 mois dans leur année universitaire, les locaux d’enseignement, les bureaux de l’administration et les résidences des étudiants boursiers ont été saccagés ou brûlés de même que les moyens audiovisuels, les laboratoires d’informatique, de recherche scientifique et de pratique médicale. Des véhicules de l’administration ont été volés ou vidés de leur contenu.

On peut dire que ces dommages ont fait régresser l’université d’au moins 5 années et ont suspendu la formation de professionnels et le développement que l’on attendait dans les domaines de l’enseignement, de la recherche et de la technologie.

Question : Cependant, le discours médiatique présente les étudiants comme le centre de la protestation contre le gouvernement. Pensez-vous que cette image correspond à la réalité ?

Non. S’il est certain que les étudiants universitaires ont participé à des protestations, ce fut à cause d’une manipulation médiatique annonçant la mort d’un étudiant dans le secteur de la UCA (Université d’Amérique Centrale – Université des Jésuites) le 18 avril. Cette information était complètement fausse puisqu’aucun mort n’est apparu, mais elle a été utilisée pour donner un motif aux manifestations des étudiants et de la population en général, auxquelles ont également participé des bandes de jeunes financés par l’opposition.

Il faut attirer l’attention sur le fait que la majorité des étudiants qui se sont joints aux manifestations venaient des universités privées où il n’y a pas d’organisation des étudiants mais qui sont liées à l’oligarchie nicaraguayenne. De même sont apparus des leaders auto désignés mais qui n’ont pas fait la preuve d’être des étudiants actifs et qui, en plusieurs occasions, étaient inconnus des manifestants eux-mêmes.

Il faut signaler que durant les affrontements qui se sont produits entre le 18 et le 22 avril à Managua il n’y eut aucun mort parmi les étudiants. Les décès des 4 étudiants ont eu lieu dans d’autres villes le 20 avril :

- Cristian Emilio Cadenas, étudiant à la UNAN-Léon qui est mort brûlé vif le 20 avril en défendant les installations du Centre universitaire qui furent incendiées par un groupe d’opposition.

- Orlando Francisco Perez Corrales de la UNAN Managua et Franco Alexander Valdivia Machado de l’université privée UNIVAL qui ont été tués dans les rues d’Estelí lors d’un affrontement entre la population

- Alvaro Alberto Gomez Montalvan de la UNAN-Managua à Masaya et on ne connaît pas encore les circonstances de sa mort.

Jusqu’à début juillet, la UNEN a enregistré la mort de 10 étudiants universitaires et un blessé grave. Il s’agit Il faut mettre l’accent sur le cas du présidant de l’Union Nationale des Etudiants du Nicaragua (UNEN) de l’université polytechnique (UPOLI), Leonel Morales, qui faisait partie de la délégation gouvernementale pour le dialogue nationale. Il a été victime de séquestration, torture et tentative d’assassinat le 13 juin par des groupes criminels de la droite. Il fut retrouvé dans un fossé avec trois blessures par balle dans le thorax, l’abdomen et le cou, ainsi de multiples coups sur le corps.

Tout cela vient démentir la campagne médiatique faisant état d’un « Massacre d’étudiants » à Managua.

J’ajoute à cette interview un témoignage de première main de Javier Pasquier, agent de développement au CIPRES (Centre de recherche pour le développement rural et social) et président de la FECODESA (Fédération des coopératives de développement agricoles) du Nicaragua :

« Le 30 mai (jour de la marche des mères) j’étais au CIPRES et par la grille on voit l’université d’ingénieurs (UNI). J’ai vu une camionnette d’où on déchargeait des armes, je me suis approché et ils m’ont mis en joue disant de m’en aller »