Souveraineté alimentaire en temps de Covid-19 au Nicaragua

Article du 6 juillet 2020 de Canarias-semanal.org

Plusieurs agences de l’organisation des Nations Unies anticipent une pandémie de la famine mondiale provoquée par le confinement pendant le Covid-19, au point que le chef du programme mondial d’alimentations dit qu’il existe un réel danger que davantage personnes peuvent mourir à cause de l’impact économique du Covid-19 que par le virus.

On anticipe qu’au moins 10 millions de latino-américains s’ajouteront aux 3,4 millions qui souffrent déjà de l’insécurité alimentaire chronique dans la région.

Mais dans le deuxième pays le plus pauvre du continent, le Nicaragua on ne voit pas de pancartes « nous avons faim » comme c’est le cas dans d’autres pays. Les marchés sont approvisionnés et les prix restent stables. Les paysans et paysannes nicaraguayens produisent presque tous les aliments que la nation consomme et il y a quelques excédents pour l’exportation.

Comment est-ce possible ?

Dans l’article « Politiques sur les répercussions du Covid-19 sur la sécurité alimentaire et la nutrition » du 9 juin 2020, le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, ne demande pas seulement l’adoption urgente de mesures pour faire face à cette crise de la famine, mais aussi de profiter de cette opportunité pour adopter des systèmes d’alimentation plus soutenables. Cette transition – de la dépendance de l’agrobusiness à la souveraineté – est exigée par les paysans du monde entier depuis la fondation de « la via campesina » en 1993.

La réponse de « la via campesina » est la souveraineté alimentaire qui se définit comme le droit des peuples aux aliments nutritifs et culturellement adaptés, produits de façon soutenable et le droit de décider de son propre système alimentaire et productif.

Il priorise

1- La production agricole locale pour alimenter la population

2- L’accès à la terre, à l’eau, aux semences et au crédit des paysans avec ou sans terres

Rappelons que les paysans et petits producteurs produisent entre 70 et 75% des aliments du monde sur moins d’un quart de terres agricoles.

Le mouvement paysan au Nicaragua

L’association des travailleurs agricoles (ATC) fut fondée pendant la guerre contre la dictature de Somoza (soutenu par les Etats-Unis), un an avant la victoire de la Révolution populaire Sandiniste en 1979. L’ATC a continué à représenter ces groupes de travailleurs tout au long des 42 ans et elle fut une des organisations qui a fondé « la Via Campesina » en 1993.

Dans les années 80 le gouvernement sandiniste lança le programme de la réforme agraire qui a distribué près de la moitié des terres agricoles du pays (plus de 2 millions d’hectares) à 120 000 familles d’agriculteurs.

D’autres groupes de paysans se sont formés pendant cette période dans le cadre des mouvements de coopératives et inclut même des familles d’anciens combattants de la Contra.

Plus tard- pendant les gouvernements néolibéraux de 1990 à 2006- ces groupes ont défendu les conquêtes de la révolution en occupant même des fincas d’Etat pour empêcher leur privatisation.

En 2006, inspiré par la Constitution de 1987 qui garantit la protection contre la faim, quelques 73 organisations se sont jointes au groupe pour la souveraineté et la sécurité alimentaire et nutritionnelle (GISSAN) et ont contribué à la réélection du FSLN.

La souveraineté alimentaire depuis 2007

Le gouvernement sandiniste a continué à renforcer la souveraineté alimentaire. Entre 20007 et 2019 presque 140 000 titres de propriété de terre (certaines provenant de terres distribuées pendant la réforme agraire des années 80) ont été remis à de petits producteurs, dont 55% de femmes. 304 communautés indigènes et afro-descendants de la Côte Caribéenne ont reçu des titres collectifs.

La superficie de tous ces terrains avec titres arrive à 37 842 km2, soit 31,16% du territoire national.

La loi 693 de Souveraineté et sécurité alimentaire et nutritionnelle, adoptée en 2009 fut une des premières en Amérique Latine.

Elle a donné lieu à plusieurs programmes pour améliorer la vie des paysans et leur autonomie.

« Hambre Cero » (zéro faim) et « Bono productivo », commencé en 2007 qui donne aux femmes en milieu rural des cochons, poules, plantes, semences et différents matériaux.

Ce programme a bénéficié à 150 000 familles.

Le MEFCCA (Ministère de l’économie familiale, communautaire, coopérative et associative) et les mairies organisent des foires paysannes pour améliorer les revenus des familles et mettre des productions locales aux consommateurs et qui sont produits sans pesticides.

INTA (Institut de technologie agronome) travaille à l’amélioration et la préservation du matériel génétique du pays et organisent des banques de semences communautaires.

INATEL (Institut national de technologie) offre des formations gratuites en agriculture, élevage, apiculture et transformation des récoltes)

Un nouveau programme est en cours « NICAVIDA » pour 30 000 familles rurales des zones sèches du pays qui sont particulièrement touchées par le changement climatique en leur fournissant des outils, tanks d’eau, poules etc.

Le programme de lutte contre la pauvreté et la faim dirigé vers les résidents urbains est « Usura Cero » surtout destiné à ceux qui travaillent sur les marchés. Ce programme est administré par le MEFCCA qui donne des prêts à bas intérêt et des donations, offre des formations gratuites et du matériel pour créer des mini-entreprises. Ce programme est financé par le Venezuela et d’autres pays de l’ALBA. Plus de 800 000 familles ont bénéficié de ce programme depuis 2007 contribuant ainsi à l’économie populaire qui représente plus de 70% des emplois du pays.

L’ATC et Via Campesina ont établi un campus de l’Institut Agro-écologique Latino-américain

(IALA) au Nicaragua pour des jeunes de toute la région d’Amérique Centrale et Caraïbes.

L’ATC et d’autres organisations paysannes organisent localement des ateliers de formation en agroécologie pour préparer des fertilisants et engrais bio.

Tout cela renforce la construction de la souveraineté alimentaire.

Quelques résultats

Dans le plan stratégique 2019-2023, le programme mondial d’alimentation des Nations Unies, il est dit que « dans la dernière décennie … le Nicaragua est l’un des pays qui a le plus réduit la faim dans la région » La dénutrition infantile chronique a baissé de 21,7% en 2006 à 11,1% en 2019 pour les enfants de moins de 5 ans.

Le Nicaragua a été aussi un des premiers pays à atteindre l’objectif de développement du Millenium Numéro 1, soit de réduire la dénutrition de moitié en baissant ce nombre de 2,3 millions en 1990-1992 à 1 million en 2014-2016.

Le déficit en vitamine A des enfants de moins de 5 ans a été éliminé.

Les avancées du Nicaragua se reflètent dans « l’Atlas de la Faim » de l’organisation des Nations-Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation.

Malheureusement cet atlas montre que les pays voisins, le Honduras et El Salvador n’ont pas atteint l’objectif du développement du Millenium relatif à la réduction de la faim et que le Guatemala n’a même pas avancé.

Cette différence peut être du fait que les exportations des Etats-Unis aux pays du Triangle Nord ont beaucoup augmenté depuis l’accord de libre-échange avec la République Dominicaine et l’Amérique Central (CAFTA-DR)

Ces trois pays ont importé environ 5 900 millions de $US en produits agricoles en 2016, inclus des haricots et des produits laitiers du Nicaragua, en plus du maïs, de la farine de soja, du blé, de volailles, du riz et d’aliments transformés des Etats-Unis. Les importations de plusieurs de ces aliments ont augmenté de 100% ou plus entre 2006 et 2016, arrivant à 40% des importations de nourriture de ces pays.

Malheureusement les prix des aliments de ces pays sont en augmentation, précisément au moment où les gens ont moins de revenus dû aux quarantaines pour le Covid-19 dans leurs pays et aux Etats-Unis.

La souveraineté alimentaire et la pandémie au Nicaragua

9O% des aliments qui sont consommés au Nicaragua sont produits à l’intérieur des frontières nationales, de 8O% par les paysans.

L’autosuffisance alimentaire augmente juste au moment où d’autres pays en développement sont devenus plus dépendant de la nourriture importée du fait qu’ils se sont convertis en agro exportateurs de quelques cultures (par exemple de bananes ou ananas)

Le riz est le seul aliment de la nourriture de base nicaraguayen qui n’est pas entièrement produit dans le pays, mais ce produit satisfaisait 45% de la demande en 2007 et il est passé à 75% actuellement.

Pendant la pandémie la production a continué normalement, la plus grande part des aliments étant cultivée par de petites unités familiales.

Pendant ce temps « La via campesina » met en route le « corridor agro-écologique » basé sur les échanges entre paysans comme réponse aux menaces du changement climatique. Les cours de l’Institut Agro-écologique Latino-américain de Via Campesina se font par Internet pendant la pandémie.

Via Campesina a aussi lancé une campagne d’urgence appelée « Retour aux champs » qui va être mise en pratique non seulement au Nicaragua mais aussi au niveau international.

Autres défis pour le Nicaragua pendant la pandémie

- Faire face à la campagne de désinformation

- La politique de souveraineté alimentaire constitue une menace pour la domination de l’agrobusiness des Etats-Unis. Par ex. USAID a inondé le monde avec des semences transgéniques de Monsanto (maintenant Bayer)

- USAID fut une des organisations qui a financé les groupes d’opposition qui ont participé au violent coup d’état au Nicaragua en 2018. Ce n’est donc pas étonnant que le représentant de Cargill au Nicaragua et chef de la chambre de commerce Etats-Unis-Nicaragua fut un des leader de l’opposition.