L’éducation au Nicaragua et dans les autres pays d’Amérique Centrale en 2017 Réalités et défis

Introduction

Dés le premier voyage de Ruth au Nicaragua en 1986 et sa rencontre avec Rosario Pasquier la question de l’éducation a été immédiatement centrale et, comme vous le savez tous, cela ne s’est jamais démenti depuis lors puisque c’est pour cet objectif que Ruth a fondé l’association INTI en février 1992, il y a 25 ans. Nous vous avons rendu compte de l’action actuelle de l’association lors de l’assemblée générale du 22 février dernier au cours de laquelle nous avons eu le bonheur d’accueillir Rosario et sa nièce Ileana.

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Personne ne niera que l’éducation est effectivement au centre de l’histoire de toutes les nations et qu’elle fut et demeure soumise à des enjeux politiques, idéologiques et économiques. Cela fut vrai lors de la Révolution française : elle crée en 1791 un Comité d’instruction publique de l’Assemblée législative qui lance une enquête sur les établissements d’instruction publique et en 1792 un ministère de l’Instruction publique pour ouvrir l’enseignement primaire à tous. Ensuite au XIXème avec Napoléon 1er, la Restauration et les révolutions de 1830 et 1848, sans omettre la défaite de la France face à l’Allemagne durant la guerre de 1870 et la « Commune de Paris » qui a suivi, il y eut de nombreuses vicissitudes jusqu’à ce que Jules Ferry fasse adopter en 1880 une loi rendant l’école laïque, obligatoire et gratuite de 6 à 13 ans. Pour la mise en œuvre concrète, le mouvement a bénéficié de l’action de grands pédagogues tels que Ferdinand Buisson (1841 – 1932) par ailleurs co-fondateur et président de la Ligue des droits de l’homme (prix Nobel de la Paix en 1927 avec l’allemand Ludwig Quidde).

Au Nicaragua aussi, le fondateur du FSLN (Front Sandiniste de Libération Nationale), Carlos Fonseca (tué au combat en 1976) considérait qu’il était tout aussi important d’apprendre aux militant-e-s à utiliser les armes que de leur enseigner à lire et à écrire. Victorieux le 19 juillet 1979 après plusieurs années de lutte contre la dictature de la famille Somoza, mais plus de 100 ans après la France, les sandinistes ont ainsi fait de l’alphabétisation l’une des priorités de leur programme politique. En effet le taux d’analphabétisme était alors de l’ordre de 50 % et pour marquer cette volonté le nouveau gouvernement, sous l’impulsion du ministre Fernando Cardenal a décidé de lancer la « croisade de l’alphabétisation » qui a duré 5 mois (de mars à août 1980) et qui a mobilisé de l’ordre de 100.000 personnes, majoritairement des jeunes des villes, tous volontaires et bénévoles et qui ont agi dans les profondeurs du pays (60.000) ainsi que dans les villes (40.000). À l’époque, il y avait un fossé entre les habitant-e-s des villes, qui, pour la plupart, avaient accès à un certain niveau d’éducation et les personnes vivant à la campagne, qui, souvent, n’allaient pas à l’école et vivaient dans des conditions très précaires. Mais le contexte était difficile et dangereux : 66 « brigadistes » ont été tués par ces contre-révolutionnaires durant la croisade.

Cette croisade s’inspirait directement de la méthode élaborée par le grand pédagogue brésilien Paolo Freire (1921-1997) auteur notamment de l’ouvrage « Pédagogie des opprimés » dans lequel il expose son concept de conscientisation comme potentiel de transformation de la réalité sociale, celle-ci étant en elle-même un processus éducatif. « L’éducation reproduit les dynamiques qui caractérisent le processus historico-social. C’est un acte de savoir et un moyen d’action pour transformer la réalité qui doit être connue ». Paolo Freire a été fortement critiqué – et derrière lui, la croisade de l’alphabétisation - pour avoir dit que toute alphabétisation est politique et qu’il n’y a jamais eu et qu’il n’y aura jamais d’éducation neutre. Mais qui réellement peut soutenir que c’est erroné ?

Un exemple vécu. Tout récemment Javier Pasquier, frère de Rosario, a rendu visite avec émotion à la communauté rurale du Rio San Juan qu’il fut chargé d’alphabétiser en 1980. Au retour de cette expérience il est devenu instituteur à Managua puis a été sélectionné pour faire des études d’agronomie en France à l’INRA durant un an en 1985. Il fut le premier Nicaraguayen que nous avons connu. Ensuite, il a travaillé au Centre d’information et d’études pour la réforme agraire dirigé par Orlando Nuñez puis après la défaite électorale des sandinistes de 1990 il est entré dans l’ONG CIPRES fondée par le même Orlando Nuñez. Présentement il est à la tête de la FECODESA, l’une des 5 fédérations de coopératives agricoles du Nicaragua.

Nous vous avons déjà parlé de cette « croisade de l’alphabétisation » mais si vous voulez en savoir davantage vous pouvez consulter le blog https://terrezer.wordpress.com/nicaragua/histoire-du-nicaragua dont le titre est « Aventure d’un coopér-acteur et d’une coopér-actrice au Nicaragua » qui a été créé par un jeune couple suisse originaires du Valais et de Lausanne faisant un séjour volontaire de 3 années dans le pays en expérimentant de nouvelles méthodes d’enseignement.

En 2007 le dirigeant sandiniste Daniel Ortega a été réélu comme président du Nicaragua. Les archives de la « croisade nationale d’alphabétisation » ont été alors inscrites au Registre Mémoire du Monde de l’UNESCO en 2007. Dans cette logique, le gouvernement a repris les efforts d’éducation au bénéfice de tous entrepris en 1980 et largement abandonnés durant les gouvernements d’inspiration néolibérale entre 1990 et 2007, avec en particulier la méthode d’alphabétisation « Yo si puedo » (Oui, moi je peux) utilisée à Cuba.

L’association de parents d’élèves « Doris Maria Morales Tijerino » que nous soutenons travaille dans cet esprit et dans cette direction. Les élèves qui l’ont fréquenté jusqu’au baccalauréat ont généralement de bons résultats à l’université.

Le gouvernement du Nicaragua a élaboré le « Plan stratégique d’éducation 2011-2013 » destiné à être inclus lui-même dans le « Plan national de développement humain 2012-2016 » et reprenant 5 politiques éducatives nationales :

 Davantage d’éducation : accès et couverture

 Meilleure éducation : qualité à travers la formation et les capacités des professeurs

 Autre éducation : valeurs différentes de celles du modèle éducatif néolibéral

 Gestion éducative participative et décentralisée (responsabilité partagée)

 Toutes les éducations : intégration, articulation entre sous-systèmes en fonction d’un continuité éducative depuis la naissance jusqu’à la mort.

Un nouveau plan stratégique d’éducation 2014-2017 et un nouveau plan de développement humains sont entrés en vigueur et, pour les financer, le Nicaragua a obtenu de la Banque Mondiale un nouveau prêt à faible taux d’intérêt.

Il existe à Managua un « Musée de l’alphabétisation » (http://www.miracrida.org) confiée à l’association d’éducation populaire Carlos Fonseca Amador présidée par M. Orlando Pineda.

Cependant les défis à affronter demeurent immenses notamment du fait de la pauvreté et cela est vrai de toute l’Amérique Centrale, bien qu’à un degré moindre au Costa Rica et à Panama.

Ce sont ces défis que nous vous exposons ci-après à partir des données disponibles pensant qu’il faut examiner les choses avec réalisme pour espérer les affronter avec succès, ce, bien entendu, avec la participation active de nos amis du Nicaragua et, également, notre solidarité.