Agrocarburants

La revue ALTERNATIVES SUD du Cetri (Centre tricontinental) a traité le thème des agrocarburants Dans de nombreux articles. Comme j’avais l’intention de parler dans cette lettre d’info des problèmes que ces monocultures posent par des exemples au Honduras, au Guatemala et au Nicaragua., Je vous propose de larges extraits de la revue. L’article complet peut être consulté sur http//www.cetri.be

AGROCARBURANTS (ALTERNATIVES SUD)

Longtemps considérée comme une panacée face aux changements climatiques, la production d’agrocarburants pose problème. En particulier en Asie, en Amérique latine et en Afrique, où elle prend le plus souvent la forme de vastes monocultures – de canne, de palme, de soja… – aux mains de l’agro-industrie. Destination en hausse : les pays riches soucieux de diversifier et de « verdir » leur approvisionnement énergétique.

Les impacts fonciers, sociaux et environnementaux observés au Sud tendent à aggraver les déséquilibres, quand ils ne mettent pas en péril l’alimentation même des populations locales, par le changement d’affectation des terres. Déforestation, appropriation privative des ressources, accaparement des propriétés agraires, concentration des bénéfices, pollution des sols et de l’eau, appauvrissement de la biodiversité, exploitation de mains-d’œuvre vulnérables, déplacement de populations, violation de droits humains… les ressorts et les « externalités » de la dynamique sont multiples et à géométrie variable.



En matière d’émission de gaz à effet de serre, l’« alternative » des agrocarburants ne ferait pas mieux, dans sa globalité, que les combustibles fossiles. Quant aux « critères de durabilité » – lacunaires – auxquels l’Union européenne et les Etats-Unis entendent soumettre leurs importations, ils changent moins la donne qu’ils ne donnent le change.



À quelles conditions une réappropriation équitable et un développement durable de la production et de la consommation d’agrocarburants sont-ils envisageables ? Les solutions passent par une refonte des politiques économiques et agricoles.

Expansion des agrocarburants au Sud : dynamique et impacts par François Polet Sociologue, Université de Louvain-La-Neuve (Belgique). Chargé de rédaction, recherche et formation au CETRI. Coordonne les publications Etat des Résistances dans le Sud. Les cultures pour agrocarburants gagnent du terrain dans la majorité des pays du Sud. Dominées par des plantations industrielles, elles génèrent d’importants impacts problématiques : concentration des terres, destruction des écosystèmes, fragilisation de la sécurité alimentaire. Les systèmes de certification volontaire visant à faire émerger un agrocarburant industriel « durable » aident surtout à « verdir » l’image du secteur. À la croisée d’enjeux énergétiques, environnementaux, agricoles et commerciaux majeurs, les agrocarburants suscitent de vifs débats depuis plusieurs années. Leurs détracteurs ont gagné de l’audience depuis la crise alimentaire de 2007 et la mise en cause des cultures énergétiques dans l’explosion du prix des denrées alimentaires. La chute des prix mi-2008 n’a pourtant pas réduit la pression sur les avocats des cultures énergétiques, car deux nouvelles accusations émergent depuis peu, étayées par un nombre croissant d’études et de rapports. La prise en compte du « changement d’affectation des sols » causé directement ou indirectement par les agrocarburants remettrait en question leur bilan carbone positif, principal « argument de vente » auprès du grand public. Et la quête de surfaces agricoles qu’ils occasionnent serait une des causes majeures de l’inquiétant phénomène d’« accaparement des terres » dans les pays du Sud. Malgré l’intensité de la controverse, la Commission européenne et les Etats du Nord comme du Sud gardent le cap et relativisent les impacts... ou misent sur l’application de critères de durabilité pour faire émerger des filières « propres ». …….. L’expansion des agrocarburants au Sud Croissance accélérée des quantités et des surfaces en jeu La production mondiale d’agrocarburants a connu un véritable boom à l’échelle mondiale ces dernières années : elle a été multipliée par 5,5 entre 2000 et 2009 pour atteindre 51,78 millions de tonnes d’équivalent pétrole (tep) (PB, 2010). Assez logiquement, les superficies consacrées à la production de matières premières agricoles pour cet usage énergétique ont connu une croissance parallèle, passant de 13,8 millions d’hectares en 2004, à 26,6 millions en 2007 et 37,5 millions en 2008, soit 2,3 % des terres cultivables dans le monde (PNUE, 2009), ou 2 fois la surface cultivable de la France, ou encore 38 fois la surface cultivable de la Belgique. Les agrocarburants seraient responsables de 25% de l’accroissement des surfaces agricoles entre 2004 et 2008 (RAC-F, 2008)………… Au Sud, trois matières premières agricoles dominent nettement la fabrication d’agrocarburants : le soja et l’huile de palme pour le biodiesel, la canne à sucre pour l’éthanol. Si l’on en croit les programmes officiels, la production d’agrocarburants et l’expansion concomitante des cultures énergétiques devraient encore s’accélérer dans les années à venir dans les pays en développement. ……….. Le rôle déterminant des pouvoirs publics Au Sud comme au Nord, l’expansion des cultures énergétiques résulte d’abord de l’adoption récente de politiques publiques visant le développement de la production et de la consommation d’agrocarburants. Les coûts de production des agrocarburants étant supérieurs à l’essence et au diesel, le décollage de la consommation mondiale n’aurait tout simplement pas eu lieu sans cette volonté politique. S’agissant des pays du Sud, il ressort des documents officiels adoptés ces dernières années que ces politiques sont guidées par des préoccupations d’ordre énergétique et économique essentiellement. Il s’agit de réduire la dépendance des économies nationales vis-à-vis d’une ressource, le pétrole, dont le prix sur les marchés internationaux connaît des hausses imprévisibles, source d’une grande vulnérabilité macro-économique, tout en offrant des opportunités de croissance et de création d’emplois dans les secteurs agricole et industriel. Il importe de l’avoir à l’esprit : au Brésil, en Indonésie, en Afrique du Sud et ailleurs, le soutien aux agrocarburants est une question de « développement national », avant d’être une contribution à la lutte contre le réchauffement climatique. Les politiques nationales en question jouent à la fois sur la stimulation de la consommation (créer une demande interne) et de la production d’agrocarburants (créer une offre interne). La promotion de la consommation passe par la fixation d’objectifs d’utilisation contraignants ou indicatifs, sous la forme de pourcentages de mélange d’agrocarburants aux carburants classiques. Les mesures adoptées afin de soutenir le développement des capacités de production nationales sont diverses : allègement fiscal ou subventionnement de la production de la biomasse et des unités de transformation, facilitations administratives et fiscales en faveur des investissements extérieurs, facilitation de l’acquisition de terres, investissement dans les infrastructures de stockage et de transport, implication majeure des entreprises publiques pétrolières, bancaires ou agricoles, financement de la recherche (en vue d’améliorer le rendement des variétés, les technologies de transformation, l’adaptation des moteurs des véhicules), etc. Le poids variable des exportations L’approvisionnement des pays riches, qui consomment d’ores et déjà davantage d’agrocarburants qu’ils n’en produisent, est l’autre grand vecteur de l’expansion des cultures énergétiques au Sud. L’Union européenne, par exemple, a importé environ 22% des dix Mtep qu’elle a consommé en 2008, année où elle a utilisé 3,3% d’agrocarburants dans son carburant de transport. Ce pourcentage d’importation devrait augmenter à mesure que la consommation européenne se rapproche des 10% de mélange fixés pour 2020 par la directive « énergies renouvelables ». Qui plus est, la réduction prévisible des barrières au commerce international de l’éthanol et du biodiesel devrait renforcer la présence des grands producteurs du Sud, plus compétitifs du fait de l’abondance de terres, du travail bon marché et de normes environnementales moins (voire non-) contraignantes. En 2009, le Brésil à lui seul a assuré plus de la moitié des exportations mondiales d’éthanol. Il est suivi de très loin par la Chine, le Guatemala, le Nicaragua, le Pakistan, l’Egypte. …….. Il importe par ailleurs de mentionner le rôle des diplomaties brésilienne, européenne et états-unienne dans le choix récent de plusieurs pays en développement - en Afrique et en Amérique centrale surtout - de se lancer dans la production d’agrocarburants à grande échelle pour l’exportation. …… L’afflux d’investisseurs internationaux Si l’Etat a joué un rôle de premier plan dans l’essor des filières et l’émergence d’un marché des agrocarburants, en particulier dans les pays où il conserve une forte capacité d’action (Brésil, Inde, Indonésie, Malaisie), la croissance accélérée du secteur est indissociable de la ruée des investisseurs internationaux sur le nouvel « or vert ». Sans surprise, les acteurs transnationaux les mieux placés sont les firmes de l’agrobusiness qui contrôlent déjà de larges pans de la production des matières premières agricoles, de leur transformation industrielle, de leur transport et de leur distribution. Pour autant, les perspectives de profit attirent de nouveaux et puissants acteurs de secteurs parfois éloignés de l’agro-industrie. Comme le relève l’organisation Grain, qui compte parmi les observateurs les mieux informés « Les multinationales de cosmétiques vendent du biodiesel. Les grosses compagnies pétrolières raflent toutes les plantations. Les spéculateurs de Wall Street passent des contrats avec les barons féodaux du sucre. Et tout cet argent qui circule autour du monde est en train de réorganiser et de renforcer les structures transnationales, unissant la classe la plus brutale des propriétaires terriens des pays du Sud aux multinationales les plus puissantes des pays du Nord ». …. ……… Impacts « directs » et impacts « indirects …….. 1) forte croissance de la demande globale de matières premières agricoles : car la demande des usines d’éthanol et de biodiesel vient s’ajouter aux demandes « traditionnelles » de produis agricoles – celles de la filière alimentaire et de la filière industrielle – elles-mêmes en croissance ; 2) hausse du prix des matières premières agricoles : car l’offre de produits agricoles ne s’ajuste pas immédiatement à l’augmentation de la demande globale (les investissements nécessaires à l’amélioration de la productivité et la mise en culture de nouvelles terres demandent une ou plusieurs saisons) ;

 conséquences : enrichissement des producteurs agricoles grands et moyens capables de réagir rapidement à cette hausse des prix et moindre accès à l’alimentation pour les consommateurs pauvres (crise alimentaire) (Alternatives Sud, 2008).

3) hausse plus durable du prix de la terre : car davantage d’opérateurs économiques sont désireux d’investir dans les terres cultivables, en vue de satisfaire une hausse de la demande en produits agricoles perçue comme structurelle du fait qu’elle répond à des tendances économiques de fond (pays émergents) et à des objectifs de consommation fixés par le politique (agrocarburants) ;

 conséquences : compétition autour des terres cultivables, éviction des agriculteurs les plus pauvres (vente volontaire-forcée de leur lopin ou expulsion), concentration des terres dans les mains des gros investisseurs et expansion des exploitations industrielles au détriment de l’agriculture paysanne ;

4) augmentation graduelle de l’offre de terre cultivable : car la hausse du prix des produits agricoles et de la terre arable incite à accroître les surfaces exploitables ;

 conséquences : mise en culture des jachères, mais surtout déforestation et pressions sur des zones écologiques sensibles (savanes, prairies naturelles, zones humides).

Impacts sur la petite production agricole et le développement rural Entre exclusion... Pour rappel, la production de canne à sucre, de soja et d’huile de palme est depuis plusieurs années dominée par l’agriculture industrielle. Sans surprise, c’est cette production agricole capitaliste - salariée et mécanisée - qui fournit l’essentiel des matières premières aux usines d’éthanol et de biodiesel. À l’instar des autres marchés, l’accès aux filières d’agrocarburants exige donc d’atteindre un seuil minimum de compétitivité et de connexion aux infrastructures et circuits commerciaux. L’insertion des petits producteurs est rendue d’autant plus difficile qu’une tendance à l’intégration verticale se manifeste dans le secteur : de plus en plus d’entreprises se créent avec des investissements simultanés dans les plantations et les unités de transformation. Les prix des matières premières étant un élément crucial de leur rentabilité, ce contrôle de leur approvisionnement leur permet de se protéger contre la volatilité des prix agricoles. L’exclusion des petits propriétaires est la plus forte lorsque l’organisation de la production agricole-industrielle exige que les unités de transformation aient un contrôle total « en temps réel » sur le rythme de production des matières premières. L’activité agricole est alors assurée par une main- d’oeuvre intégralement salariée. La culture de canne à sucre pour l’éthanol au Brésil obéit à ce schéma purement capitaliste. On peut s’attendre à ce qu’il s’étende dans les pays, notamment africains et centro-américains, où la coopération brésilienne diffuse son « modèle » de l’éthanol. ...et incorporation « adverse » aux filières agrocarburants Cela signifie-t-il que la petite agriculture de type familiale soit systématiquement marginale au sein des filières agrocarburants ? Le tableau est plus contrasté. La participation des petits et moyens producteurs peut être importante dans certaines filières et dans certains contextes nationaux. ….. Là où elle se produit, l’inclusion des petits agriculteurs aux chaînes de valeur des agrocarburants tend à suivre cette modalité d’incorporation « désavantageuse », bien davantage qu’à profiter des bénéfices théoriques des scénarios « win win » échafaudés par les institutions internationales (Banque mondiale, 2008). ….. L’existence de politiques publiques actives visant à corriger les asymétries entre petits producteurs et secteur agro-industriel en matière de pouvoir de négociation s’avère donc être une condition déterminante à l’émergence d’une incorporation plus équitable aux filières agrocarburants. De la difficulté à profiter de la hausse des prix Nous l’avons vu plus haut, à une échelle « indirecte » ou « globale », l’un des effets de l’expansion de la consommation d’agrocraburants est la tendance haussière sur les marchés agricoles internationaux. Or la baisse historique des prix agricoles depuis les années 1970 (liée à la libéralisation agricole et à la mise en concurrence des paysans pauvres avec des gros producteurs états-uniens, européens, argentins, etc. aux niveaux de productivité incomparables), est l’une des premières raisons de la stagnation, voire de la baisse, de productivité de la petite paysannerie et du processus dramatique de paupérisation dans laquelle celle-ci est plongée depuis plusieurs années (Mazoyer, 2002). Pourquoi dès lors le retour à la hausse des prix agricoles n’est-il pas profitable à l’agriculture paysanne ? Ce paradoxe apparent est lié à la position désavantageuse des petits producteurs vis-à-vis de l’investissement productif (déjà évoquée s’agissant de la participation aux filières agrocarburants) : non seulement le crédit leur est infiniment moins accessible qu’aux gros et moyens producteurs, mais l’exposition au risque de retournement des prix, inhérent à tout investissement, est beaucoup plus lourd de conséquences chez des paysans pauvres n’ayant aucune base financière pour endurer une saison à perte. Or la tendance haussière des prix agricoles de ces dernières années se double d’une grande volatilité à court terme qui a un effet inhibiteur sur cette catégorie de producteurs. Ou qui plonge les plus audacieux dans les affres de l’endettement… Concentration foncière, prolétarisation, exode rural L’agriculture familiale a donc les plus grandes difficultés à tirer bénéfice du développement accéléré des filières agrocarburants. C’est par contre elle, et plus globalement les populations rurales pauvres, qui en paient le prix fort, sous la forme d’un recul de leurs droits d’accès aux ressources naturelles indispensables à leurs stratégies de survie quotidienne. L’énorme consommation d’eau des plantations (irrigation) comme des unités de production (lavage, refroidissement), ajoutée à la contamination des eaux de surface et des nappes souterraines, porte préjudice aux communautés villageoises avoisinantes. Mais c’est la prise de contrôle, par des entreprises commerciales ou des élites locales, d’immenses étendues de terre pour la mise en culture de matières premières pour agrocarburants qui constitue la principale menace pour la petite agriculture. Les agrocarburants sont l’un des principaux moteurs du phénomène récent, et combien inquiétant, d’accaparement des terres en Afrique (surtout), en Amérique latine et en Asie. D’après Laurent Delcourt (2010), 35% environ des 45 millions d’hectares acquis ou en cours de négociation en 2009 à l’échelle mondiale étaient destinés aux cultures énergétiques. Cette acquisition de nouvelles terres s’opère régulièrement au détriment des propriétaires ou usagers antérieurs. ….. a) Les terres visées sont soumises à un régime foncier de propriété privée. Les occupants antérieurs, petits ou gros propriétaires, sont porteurs de droits formalisés sur la terre, sous la forme d’un titre de propriété généralement. Ils acceptent alors de les céder, volontairement ou après avoir subi des pressions, parfois même après des actes de violence. Dans des régions où les rapports de force prévalent sur les rapports de droit, la capacité du propriétaire à refuser la vente ou à en tirer ce qu’il estime être un profit minimal (présupposé de base du libre marché) est intimement liée à son poids social. Les grands propriétaires de caféiers ou d’orangeraies de la région de São Paulo au Brésil ont réalisé de juteux bénéfices en vendant leurs terres aux usineiros avides d’étendre leurs plantations de canne à sucre. Deux mille kilomètres au Nord, les petits colons amazoniens n’ont eu d’autre choix que d’accepter les offres, même misérables, des sojeiros, au risque de recevoir la visite musclée de leurs hommes de main. Sur cette échelle qui va des formes les plus « libres et préalablement informées » aux formes les plus violentes d’expropriation, le paroxysme est sans doute atteint dans le Choco (Colombie), où l’obtention des terres briguées par les planteurs de palmiers à huile est obtenue par une politique de la terreur (infractions massives aux droits humains) dont les auteurs (secteurs paramilitaires) et les bénéficiaires (compagnies de plantation) sont plus ou moins ouvertement alliés au gouvernement. b) Les terres visées sont soumises à un régime coutumier : ces terres sont habitées ou utilisées depuis des générations par les populations locales, mais celles-ci ne disposent pas de documents formellement reconnus attestant de leurs droits. Les droits d’usage (agriculture, pâturage, ramassage de bois de feu, etc.) et les droits de propriété sont pourtant socialement reconnus à des individus, des familles ou des communautés, et il y existe des mécanismes variés de gouvernance, mais ils sont faiblement sécurisés et l’Etat estime pouvoir, ou peut légalement, récupérer ces terres moyennant une indemnisation (ILC, 2009). Les cas de cession de terres par des autorités nationales ou coutumières à des firmes d’agrocarburants étrangères, sans consultation préalable des habitants ou usagers traditionnels, se sont multipliés ces dernières années en Afrique, les cas du Ghana, de la Tanzanie et du Mozambique ayant été particulièrement médiatisés. Qu’elles soient forcées ou librement consenties, ces acquisitions massives de terre pour agrocarburants participent au phénomène de concentration, ou de « re-concentration » (là où des réformes agraires volontaristes ont eu lieu) des meilleures terres (les plus planes, les plus fertiles, les plus chaudes et humides), dans les mains d’un nombre réduit de grands propriétaires de mieux en mieux connectés aux marchés internationaux. Et ce, presque invariablement, au détriment des petits ou moyens paysans et plus spécifiquement des populations « indigènes », « tribales », autochtones (Duterme, 2010). S’ensuit un phénomène de prolétarisation des ex-petits propriétaires, qui trouvent à s’employer comme ouvriers agricoles dans les plantations, ou d’exode rural, lorsque ces ex-petits propriétaires réinvestissent le capital issu de la vente de leur terrain dans l’achat d’un logement en ville……..

Impacts sur la sécurité alimentaire Depuis la crise alimentaire de 2008, l’expansion des agrocarburants est présentée par certains de ses détracteurs comme un obstacle à la sécurité alimentaire des pauvres, voire, dans une vision néo-malthusienne, comme un nouveau danger compromettant la capacité de la planète à nourrir ses habitants. La réalité est plus nuancée. Un facteur secondaire de la crise alimentaire... La formidable poussée de la consommation d’agrocarburants durant les années 2006 et 2007 constitue bel et bien un facteur de la flambée des prix agricoles mondiaux début 2008, avec les mauvaises récoltes, l’absence de stock et la spéculation. Il s’agit cependant d’un facteur ayant temporairement aggravé une situation de vulnérabilité alimentaire structurelle liée à la situation de dépendance vis-à-vis des marchés internationaux dans laquelle des dizaines de pays, autrefois autosuffisants, ont glissé ces dernières décennies. Cette situation de dépendance hautement problématique est le résultat du laminage de la petite production vivrière nationale suite à la libéralisation agricole. La solution à cette situation passe par la réhabilitation de politiques agricoles et alimentaires nationales actives, protégeant la production domestique des marchés nationaux, intervenant activement sur le marché agricole national, afin de limiter les chutes de prix en cas de surproduction (préjudiciables aux producteurs) et les hausses de prix en cas de mauvaises récoltes (préjudiciables aux consommateurs), et facilitant l’accès des producteurs pauvres aux crédits, aux intrants et aux marchés (Mazoyer, 2002 ; Brunel, 2009). La production d’agrocarburants est compatible avec ce scénario et peut même constituer un revenu supplémentaire pour les petits producteurs et donc devenir une source de sécurité alimentaire. Car ce n’est pas tant l’offre globale en calories alimentaires qui pose problème que le faible pouvoir d’achat des plus démunis (Dufumier, 2004). ...mais une vraie menace pour la souveraineté alimentaire Si le détournement d’une part grandissante de la production agricole des grands pays exportateurs vers l’industrie des agrocarburants ne fait pas partie des causes structurelles de la sous-alimentation, l’affectation de surfaces à la production d’agrocarburants dans les pays où les terres fertiles sont limitées représente une vraie menace pour la sécurité alimentaire locale. Ce risque est évident lorsque d’immenses superficies traditionnellement consacrées à l’agriculture vivrière sont cédées à des investisseurs extérieurs pour une production d’agrocarburants destinée à l’exportation (à l’instar des autres cultures de rente par ailleurs : fleurs, coton, café, ananas, etc.). Le cas du Guatemala est à cet égard paradigmatique : la poussée de l’agriculture industrielle d’exportation, à laquelle contribue l’expansion de la canne à sucre et des palmiers à huile, tend à aggraver non seulement la dépendance alimentaire externe du pays, mais aussi les taux de dénutrition chronique extrêmement élevés enregistrés dans les régions paysannes et indigènes (Duterme, 2010)……. Impacts environnementaux Les agrocarburants ont depuis plusieurs années déjà perdu le qualificatif de « carburant propre ». Les ONG environnementales, passée une brève période de tergiversation, ont les premières tiré la sonnette d’alarme. Les institutions internationales n’ont pas tardé à embrayer. Dès 2008, la FAO prévient que « des impacts négatifs imprévus sur les sols, l’eau et la biodiversité font partie des effets secondaires de la production agricole en général, mais ils sont particulièrement préoccupants en ce qui concerne les biocarburants » (FAO, 2008). Un an plus tard, le Programme des Nations unies pour l’environnement enfonce le clou : « l’augmentation de la production de biocarburants devrait avoir de lourds impacts sur la diversité biologique dans les décennies à venir, essentiellement du fait des pertes d’habitat, de la prolifération des espèces invasives et de la pollution par les nitrates » (PNUE, 2009). L’expansion des « déserts verts » Le bilan environnemental douteux des cultures énergétiques est d’abord lié au mode de production prédominant dans les principales filières (canne, palme, soja) : celui des monocultures intensives. La mise en place d’une même culture sur des superficies importantes - des milliers, voire des dizaines de milliers d’hectares - conduit à l’apparition de ce que les militants latino-américains appellent des « déserts verts » : d’immenses paysages uniformisés présentant un appauvrissement drastique de la biodiversité et une vulnérabilité aux maladies. L’exploitation intensive de ces surfaces implique une consommation d’eau à grande échelle par les plantations (irrigation) et/ou par les unités de transformation (12 litres d’eau pour chaque litre d’éthanol de canne à sucre au Brésil), ainsi qu’un recours intensif aux intrants chimiques et, dans le cas du soja sud-américain, aux semences transgéniques. Le coût environnemental principal des cultures énergétiques ne provient cependant pas tant des pratiques culturales que du « changement d’affectation des sols », de la disparition des environnements naturels à laquelle la mise en place des nouvelles plantations donne lieu directement ou indirectement. Pour rappel, l’expansion agricole serait responsable de plus de la moitié des destructions de forêts dans le monde (Duterme, 2008). Or les agrocarburants sont depuis 2004 responsables de 25 % de l’accroissement des surfaces agricoles (RAC-F, 2008). Les deux champions de la déforestation sont aussi des leaders de la production d’agrocarburants : le Brésil est le premier exportateur d’éthanol au monde et l’Indonésie ambitionne de devenir le premier producteur de biodiesel. Au-delà des forêts tropicales, ce sont les savanes, les prairies naturelles, les zones humides, autant de zones riches en biodiversité, qui sont exposées à l’expansion des cultures énergétiques. Mais l’aspect le plus sensible politiquement de ce processus massif de changement d’affectation des sols est la libération de carbone dans l’oxygène à laquelle il donne lieu. Les milieux naturels (forêts tropicales ou tempérées, tourbières, savanes, prairies naturelles dans une moindre mesure) constituent des réservoirs de carbone tels que leur remplacement par des cultures agricoles rend le bilan carbone des agrocarburants qui dérivent de ces cultures généralement négatif. Le biodiesel de soja, d’huile palme et l’éthanol de canne qui proviennent d’une culture ayant pris la place d’une forêt tropicale sont respectivement 9 fois, 3 fois et 3 fois plus polluants que le carburant fossile qu’ils remplacent (Lange, 2010). L’empreinte du biodiesel de soja demeure même largement négative quand c’est une savane ou une prairie naturelle qui est remplacée. ……… Civiliser la production industrielle d’agrocarburants ? Ayant fait l’objet de rapports de plus en plus alarmants de la part des institutions internationales elles-mêmes, les impacts sociaux et environnementaux désastreux de l’expansion des cultures énergétiques ne peuvent plus être ignorés par les instances publiques qui soutiennent le développement des filières. Mesures en « trompe-l’oeil » et tentatives de « responsabilisation » du secteur l’emportent cependant sur les remises en cause nécessaires. ……..Faut-il le rappeler, les Etats du Sud jouent un rôle actif dans l’expansion accélérée des cultures énergétiques sur leur territoire. Les impacts sociaux et environnementaux négatifs de cette expansion, lorsqu’ils sont reconnus comme tels, sont généralement euphémisés et considérés comme la contrepartie inévitable d’une activité qui repose sur les avantages comparatifs nationaux précieux que sont l’abondance de terre et la main-d’oeuvre bon marché. Et même dans les pays qui disposent d’une législation environnementale et sociale poussée, comme au Brésil, où les militants syndicaux et environnementaux estiment que « la loi brésilienne est bien faite », le consensus « développementiste » qui prévaut au sein de l’exécutif empêche l’adoption d’une attitude stricte vis-à-vis des contrevenants. Plus généralement, les grands producteurs, quand ils n’appartiennent pas directement au clan au pouvoir, disposent de relais politiques puissants au sein des parlements, des gouvernements et des appareils de justice qui bloquent, dénaturent ou amortissent les initiatives susceptibles d’entraver leurs activités……. Les illusions de la certification volontaire Face à la montée des critiques et des mises en garde quant aux effets sociaux et environnementaux de l’expansion des cultures énergétiques, la Commission européenne a de son côté adopté une série de « critères de durabilité » visant à exclure les biocarburants qu’elle n’estime pas « propres ». Trois critiques peuvent être formulées à l’égard de ces critères. Tout d’abord, ils ne concernent que deux dimensions environnementales des impacts relevés . Les problèmes de sécurité alimentaire, d’accaparement des terres et de respect des droits de base des travailleurs et des communautés locales ne sont pas l’objet de critères contraignants Ensuite, ils ne tiennent (toujours) pas compte de l’aspect crucial du changement d’affectation des sols indirects (CASI), qui déplace les problèmes que l’on croit éviter « au niveau de la plantation ». Ils reflètent enfin la prévalence d’une culture managériale et bureaucratique qui méconnaît les conflits d’intérêts sociaux, économiques et environnementaux, en raisonnant en termes de « bons critères », « de bonnes procédures », de « bons partenariats »... Et même s’ils étaient appliqués scrupuleusement et permettaient de « civiliser » ces secteurs, en éliminant leurs abus les plus flagrants sur les plans social et environnemental, ces systèmes ne remettraient pas en question, mais au contraire légitimeraient, le modèle des monocultures industrielles tournées vers l’exportation et les impacts négatifs qui lui sont inhérents : concentration des terres et des richesses, perte de souveraineté alimentaire, moindre biodiversité.


Honduras

La lutte pour la terre des paysans dans la vallée d’Aguan dans le nord du pays se heurte à la voracité de l’entreprise DINANT du latifundiste Miguel Facussé. 25 paysans ont été assassinés par l’armée privée de Facussé (200 hommes dont des paramilitaires de Colombie) et les assassinats continuent. Avec toutes sortes d’astuces et avec la complicité du gouvernement, il s’est approprié les terres de 700 familles paysannes pour faire des plantations de palme. Il est actuellement en possession de 20 000 hectares de terre.

En janvier 2009, la Banque Mondiale lui a octroyé un crédit de 30 millions de $US pour augmenter la production d’huile de palme. L’EDF et la banque allemande DEG sont également impliqués dans ce projet dans le cadre du « Mécanisme de développement propre » des Nations Unis, pour le soi-disant « Biocarburant » .

Du fait d’une importante mobilisation au niveau international à laquelle 76 organisations se sont jointes, une première victoire a pu être obtenue. La banque allemande DEG a retiré son financement de 20 millions de $US. EDF Trading Londres, qui fait partie du groupe EDF S.S a décidé de résilier le contrat de 2,8 millions de $US, un contrat que cette société avait avec l’Exportatrice de l’Atlantique S.A. pour l’achat de crédit de carbone dans le Baja Aguan. La Banque Mondiale de son côté va examiner les nombreuses violations des droits humains pour prendre une décision sur la levée du moratoire de la production d’huile de palme.

GUATEMALA

Le 15 mars 2011 la police a expulsé brutalement plus de 100 familles paysannes de leurs terres. Le bilan est un mort, Antonio Beb Ac, 35 ans et père de famille, ainsi que 9 blessés. C’est la deuxième fois que ces familles ont été chassées. La première fois par l’entreprise Chabil Utzaj, pour planter de la canne à sucre et installer une raffinerie. Après la faillite de cette entreprise en 2009, les paysans sont retournés sur leurs terres. Le propriétaire de Chabil Utzaj, Carlos Widmann continue a réclamé ces terres et le 14 mars, une juge a ordonné l’expulsion des paysans.

Face à la demande croissante des « agrocarburants » sur le marché mondial, les grandes plantations de canne à sucre et d’huile de palme prennent une telle ampleur que les terres disponibles pour la production alimentaire se réduisent de plus en plus. Ces monocultures mettent la sécurité alimentaire en danger, détruisent les forêts tropicales et privent les familles paysannes des terres qu’elles avaient cultivées depuis des décennies. Privées des moyens de subsistance, sans toit, elles dépendent maintenant de l’aide alimentaire. Une pétition est en cours par « Rettet den Regenwald »

Nicaragua

Le bioéthanol détruit des vies humaines. Carmen est une militante de ANAIRC, une organisation qui défend les droits des travailleurs de la canne à sucre et qui souffrent d’insuffisance rénale. Ces 800 personnes ont travaillé sur les plantations du groupe Pellas, le plus grand producteur de sucre. L’éthanol a remplacé le sucre et le rhum comme produit d’exportation le plus important. Pour couvrir la demande d’éthanol en Europe et aux USA, les plantations de canne à sucre s’étendent et ont déjà atteint 50 000 hectares. Pour augmenter la production, des pesticides sont utilisés sans précaution pour les ouvriers et l’environnement. L’eau est contaminée et les habitants n’ont pas les moyens d’acheter de l’eau en bouteilles. Cette contamination n’est pas seulement le fait de la famille Pellas, mais remonte à des décennies où les arbres fruitiers ont été abattus pour laisser la place à des plantations de coton dont les nord-américains avaient grand besoin, puis ce furent les multinationales de la banane qui utilisèrent des pesticides dont le Nemagon à grande échelle. Le procès contre les firmes nord-américaines n’a toujours pas abouti et les travailleurs malades vivent dans des conditions de très grande pauvreté. Après une lutte de plusieurs années, les ouvriers intoxiqués reçoivent une petite pension de l’Etat, mais qui est insuffisant pour assurer l’achat de médicaments et de nourriture.. Le groupe Pellas cependant refuse toute responsabilité.

Victimes du Nemagon
Photo du livre « el parque de las hamacas »

qui dénonce les conditions de travail des travailleurs agricoles. Ici dans une plantation au Costa Rica.