Compte-rendu du voyage de Lucie

Voici le compte rendu de mon voyage au Nicaragua de 3 semaines en octobre 2019.

Cette fois-ci, je suis partie avec mon fils de deux ans et mon cousin de 17 ans. Les voyages en avion se sont bien passés.

Sur les grandes routes qui relient l’aéroport à la capitale, j’observe plus de grandes enseignes mais pas follement non plus. J’étais restée 6 mois en 2015 puis revenue un an plus tard. Entre 2015 et 2016 j’ai clairement été plus impressionnée par les nouvelles constructions que cette fois, 3 ans plus tard. Par contre, j’ai noté l’arrivée de l’enseigne Wallmart dans la capitale dont je ne me souvenais pas.

Au final, j’ai été très touchée par l’impact de la crise politique de l’année précédente sur le pays. J’ai glané des informations, des témoignages partout où nous allions pour avoir l’image la plus diverse possible. Il en est ressorti que les petits commerçants ont le plus souffert et beaucoup ont dû fermer leur boutique. Les marchés des villes ont d’après ce qu’on m’a dit pris beaucoup d’ampleur du coup, les personnes quittant leur magasin pour aller vendre au marché. Un jeune homme papa de deux enfants que j’ai rencontré dans un bus me racontait que lui vendait de l’ail et sa femme avait une boutique de vêtements. Ils n’arrivaient plus vraiment à dégager de l’argent pour leur famille, juste de quoi payer les charges. Au final, il m’a semblé que les gens continuent de travailler, en espérant que le temps va redresser la barque.

En parallèle, je trouve que leur consommation a évolué, mais pas vers l’indépendance économique... ce qui, je crains, va limiter leurs capacités de rebond. Globalement, je trouve que les gens consomment et adorent des produits qui viennent d’ailleurs et de grosses enseignes de préférence (raisins secs, téléphone, etc). J’ai été gênée parce que d’un côté, je peux les comprendre d’envier ce que les autres ont mais de l’autre, le peu d’argent qu’il dégage de leur salaire, il le renvoie dans d'autres pays. Il y a aussi une mode des vitamines bien plus forte qu’avant. Dans les bus, ils promettent de régler les problèmes de sommeil, de dos, de mémoire et j’en passe. Pareil à la télévision, la consommation des «produits» pour améliorer son état de santé, ne pas être malade à nettement augmenter je trouve et doit leur coûter cher. Lorsque je disais au jeune homme que mon fils avait les fesses toute rouges à cause des couches, il m’a dit que sa fille aussi, du coup il lui donnait une crème antiallergique pour stopper la réaction (les couches jetables sont pleines de produits).

Concernant le travail, apparemment plus d’une personne sur deux a perdu son emploi lors de la crise. Les grosses entreprises ont très vite licencié et les plus petites, locales, s’efforcent de maintenir leur comptabilité pour éviter de licencier. On m’a fait entendre que les grosses entreprises n’avaient pas vraiment intérêt à réembaucher même si la situation du pays s’améliore pour maintenir la population en difficulté et espérer un départ de Daniel Ortega lors des prochaines élections. Que ce soit vrai ou faux, je pense qu’ils ne peuvent pas compter sur leurs grandes entreprises pour aider le pays... À l’époque de mon premier voyage, pour être employé à la banque la plus importante du pays, il fallait fournir une analyse de sang pour prouver que vous n’êtes pas enceinte et que vous n’avez pas le SIDA... j’ai jamais pensé qu’ils avaient une très bonne éthique. Rosario a une nièce par exemple qui a un très bon emploi et qui vient de se marier avec un homme qui a lui aussi une bonne situation. Malgré cela, depuis la crise, la banque ne veut plus leur prêter d’argent pour la construction de leur maison... ils attendent donc patiemment chez la maman...

J’avais été en Thaïlande au mois de mai et j’avais visité un centre de formation pour l’autosuffisance. Le Nicaragua étant un pays où l'agriculture est bien développée et la formation des personnes dans le secteur de l’agronomie est de très bonne qualité, je me suis demandée pourquoi ce mode de vie n’était pas plus développé, ce qui permettrait d’apporter plus d’indépendance à la population en étant moins dépendant financièrement. En effet, avec la crise, les prix des denrées de base se sont envolés et peinent à redescendre... Rosario a mis en place un espace de vente de plantes dans l’école qui apparemment fonctionne bien. Les parents commencent à apprécier avoir des plantes chez eux, cultiver leurs propres légumes et leurs fruits. Son neveu, récemment diplômé en agronomie, m’a aussi confirmé qu’il y avait bien un centre de formation sur l’autosuffisance. J’espère que ça pourra se développer.

Concernant la crise directement, les gens ne sont toujours pas d’accord sur ce qui s’est passé dans les faits mais sont globalement d'accord pour dire que le mouvement a surpris tout le monde. Des établissements emblématiques ont été brûlés (La radio Ya, la plus écoutée dans le pays par exemple), établissement plutôt populaire... Il y a eu une émulsion pour les informations chocs sur les télévisions qui a écœuré des médias une partie de la population car elles s’avéraient fausses par la suite.

Petite parenthèse, le policier que je connais bien a été muté suite à cet événement et fait partie de la garde présidentielle maintenant. Il nous a discrètement amené dans le quartier du président Ortega, et nous sommes passés devant sa demeure. Le quartier est effectivement très humble et l’extérieur de la maison bien que camouflé n’est pas tape à l'œil du tout. C’était assez incroyable comme expérience.

Sur le plan touristique, l’impact de la crise a aussi modifié le paysage. Granada, la ville touristique par excellence n’était plus reconnaissable. La rue principale pleine de terrasses habituellement était vidée de tout, les portes closes. Les quelques vendeurs de rue nous poursuivaient longtemps pour nous vendre leurs produits, ce que ne m’était jamais arrivé et été vraiment gênant... Au Rio San Juan, nous n’avons pas croisé de touriste non plus, les hôtels sont plutôt occupés par des candidats à l’immigration vers le Costa Rica. Le long du Rio San Juan, nous avons fait plusieurs arrêts «clandestins» pour laisser des personnes en bord de rivière. Arrivés à notre destination, les hôtels étaient vides aussi... Le guide que nous avons pris est d’habitude pris d’assaut. Il nous explique qu’il réussit lui à maintenir son niveau de vie par sa notoriété à organiser suffisamment de sorties. Avant, les touristes venaient du Nicaragua et du Costa Rica, plus maintenant.

Par contre, à ma grande surprise, un lieu très peu connu, très peu accessible fut plus que jamais plein de touristes étrangers : le volcan Mombacho. Le seul endroit où les prix ont augmenté et non baissé ! Les visites de ce volcan sont gérées par la société de café Casa del Cafe, très riche entreprise. Ils ont aussi développé leur activité d’accrobranche ce qui en fait un lieu très «in». Ainsi, les lieux qui dépendaient beaucoup du tourisme local (Granada étaient très appréciés des Nicaraguayens qui aimaient venir en fin de semaine) souffrent beaucoup plus que les lieux destinés quasiment uniquement au tourisme étranger, qui vient avec des tours organisés. Une fois de plus, la tendance tend à servir les grandes entreprises et non les nicaraguayens après cette crise politique. Partout, le pays est très calme, comme avant et les gens sont impatients de retrouver le dynamisme d’avant, que le tourisme reprenne.

Sur le plan politique, le président ne semble pour autant pas avoir limité son rythme dans l’apport à la population. En 2015, il donnait des terrains pour aider les personnes dans l'accès à la propriété. Dorénavant, le gouvernement attribue des maisons. Il faut se rendre dans un établissement, attendre, remplir un formulaire et avoir un entretien avec une personne. Une des enseignantes du CDI racontait son parcours à la directrice. Les gens qui revendiquaient leur droit de manière agressive étaient gentiment remerciés apparemment. Il avait plutôt tendance à favoriser les dossiers des personnes stables, qui travaillent depuis longtemps, sans coupure volontaire, comme c’était le cas de la professeure en question qui a eu l’accord. Elle était très très contente! C’est elle qui venait de reprendre la classe de l’Angelita, je l’avais connue avant, enceinte. Elle est pleine de vie et travaille au CDI depuis 13 ans me semble-t-il. Le gouvernement a aussi développé une sorte de centre aquatique mais sans profondeur (pour éviter les noyades j’imagine) avec plein de parcs pour enfants autour. Plus loin, il a aussi développé un immense parc, le Luis Alfonso , avec une quantité folle de terrains de sport (de tous les sports) et au fond, encore des parcs de jeux et des manèges par groupe d’âge. Le ticket pour les manèges est d’une somme dérisoire. Au bout de tout ce parc, ils viennent de finir un plan d’eau qui permet aux gens d’y faire du pédalo. Le soir, à la tombée de la nuit, un spectacle son et lumière est proposé sur le plan d’eau avec les fontaines. C’est superbe et beaucoup de personnes y assistent. Au final, les seules choses payantes du parc sont les manèges, le pédalo et la restauration. Je m’attendais à des prix exorbitants pour les boissons et la nourriture mais même pas. C’est pour moi un endroit calme, assez paisible pour que plein de familles viennent y passer du temps avec leur enfant. Les enfants sont dehors, ils crapahutent partout, accompagnés de leur parent. Bref, cet après-midi passé là-bas reste un chouette souvenir.

Concernant l'école maintenant, j’ai été agréablement surprise de revoir les mêmes têtes ! Quand j’étais restée 6 mois, Rosario n’avait pas arrêté de changer de personnel, il était très difficile de trouver des personnes qui tenaient la route, qui voulait travailler bref, beaucoup de temps et peu d’apports. Cette fois, l’équipe était quasiment identique, grandit aussi à cause de la forte augmentation du nombre d’enfants. Cette augmentation vient d’un côté parce que la primaire au Doris est peu à peu intégrée au CDI et par le fait que l’école est connue pour proposer des bourses aux élèves les plus pauvres. Toutes les pièces sont utilisées comme salle de classe, c’était assez étourdissant de voir autant d’enfants dans le grand hall. L’école intègre toujours des enfants avec des handicaps, notamment des troubles autistiques et des enfants présentant une trisomie 21. Comme je travaille avec des enfants ayant des difficultés scolaires, j’ai discuté un peu de l’évolution là-bas de la prise en charge et des diagnostics. Un peu comme en France, après la «mode» des diagnostics d’autisme, il y a beaucoup de diagnostics de trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité. Un élève que je connais bien en est à son troisième diagnostic différent... sans effet sur ses difficultés scolaires. Il semble compliqué de se fier à ces diagnostics qui ne sont pas comme ici le produit d’un travail pluridisciplinaire mais souvent d’un(e) psychologue seulement, souvent à son compte. Un autre élève avec qui je travaillais quand j’étais au Nicaragua me racontait que maintenant il voyait une psychologue en libéral, 20 dollars chaque séance hebdomadaire d’une heure environ ce qui me parait très cher surtout que les difficultés relationnelles de cet enfant avec ses camarades sont de plus en plus marquées. Ceci étant, l’école développe toujours la présence d’adultes auprès des enfants présentant le plus de difficulté d’intégration au groupe (ce que nous appelons auxiliaire de vie scolaire chez nous). Ils bénéficient donc d’une personne adulte de référence qui peut les accompagner s’ils veulent s’isoler du groupe un moment et leur proposer des activités adaptées à d’autres moments ce qui est une sacrée chance. Les enseignants restent pour autant attentifs à leurs élèves, et ne les délaissent pas aux auxiliaires. L’idée étant vraiment de leur permettre à terme d’être dans le groupe classe et d'interagir au mieux avec leurs camarades. Au vu de l’augmentation du nombre d’élèves, il y a aussi plus de soutien en cuisine, ce qui rend leur travail plus confortable (elles étaient trois avant et les temps de repas étaient du coup très rythmés). Les trois femmes sont toujours les mêmes, toujours disponibles en tout temps, toujours aussi bonnes cuisinières et terriblement impliquées dans la vie du CDI et attentionnées.

Concernant les professeurs, certains professeurs ont été mutualisés entre les trois écoles. Laura, la professeure de peinture historique si je puis dire de l’Angelita, travaille dorénavant seule au CDI (elle animait seulement un atelier de peinture l'après-midi avant). J’étais souvent en classe de peinture avant, je discutais avec le professeur, car j’étais étonnée de les voir toujours dessiner des montagnes enneigées et de les voir changer de production à chaque nouveau cours. Laura m’a donc expliqué qu’elle avait changé les règles pour vraiment leur transmettre les bases du dessin, de la peinture et améliorer leur investissement dans le cours. Fini donc les nouveaux dessins à chaque nouveau cours, elle leur propose un thème et ils développent une technique pendant une période donnée. Elle les accompagne, leur apporte des exemples ce qui rend leur production beaucoup plus personnelle. À l’Angelita, ils ont cette habitude et ce goût pour la peinture depuis longtemps donc pour leur âge, leurs productions sont magnifiques. Pour les autres professeurs, stabilité présente, même professeure de chant et d’informatique, toujours aussi douées. Le professeur de danse semble très bien aussi. J’ai revu avec plaisir le professeur de natation. Son club de natation a encore obtenu des prix nationaux (je crois qu’ils sont le premier club du Nicaragua) mais l’état de la piscine s’est nettement dégradé malheureusement... il faut refaire la peinture mais ça coûte très très cher...

Il y a toujours régulièrement des journées où les enseignants sont formés. Les élèves ne viennent pas et tous en groupe élaborent autour de leur métier. Avant, il s’agissait plus de temps de discussion et de temps de partage. La journée à laquelle j’ai assisté était très intéressante. Rosario réussit à faire venir des formateurs extérieurs pour améliorer les conditions de travail des équipes. Au CDI, il s’agissait d’une formation sur l’intelligence émotionnelle et au Doris ce jour-là, sur les soins à base de plantes (relaxation, etc)... L’idée étant de donner des billes aux professeurs pour améliorer leur qualité de travail et donc d’améliorer leur intervention auprès des élèves. Les formations sont de qualité.

De plus, Rosario a ouvert l’école à beaucoup d’étudiants en psychologie. J’en ai vu animer un atelier sur l’entente filles/garçons à la préadolescence, une autre réalisée son stage à l’Angelita, et plusieurs autres étudiants dans l’école. La nièce de Rosario qui est chercheuse en nutrition participait aussi aux rencontres avec les parents d’élèves pour les conseiller sur l’importance du petit-déjeuner et ce qu’il doit contenir. Bref, j’ai trouvé beaucoup de nouveautés très intéressantes pour le développement de l’école, l’accompagnement des professeurs, des parents et au final donc pour améliorer le bien-être de l’enfant.

D’ailleurs, comme c’était en fin d’année, j’ai appris que les élèves en fin de primaire devaient rédiger un mémoire de recherche. Je le savais pour la fin du lycée mais pas de la primaire... Un des enfants avec qui j’ai gardé contact m’a laissé lire le sien, sur la protection de l’environnement. Le sujet était très bien traité, très bien documenté et mettait bien en valeur la réflexion de l’enfant. Sa maman m’a expliqué qu’elle n’avait pas pu intervenir sur ce travail car il restait à l’école et qu’à chaque fois qu’elle lui demandait comme ça allait, il lui disait très bien. En creusant, j’ai compris que chaque élève à un tuteur de mémoire qui l’accompagne dans la réalisation. Ce tuteur est un membre de l’équipe des enseignants. Toutes les recherches et la rédaction sont réalisées à l’école, sur le temps scolaire. Ce système m’a apparu génial pour éviter toutes discriminations sociales. Quel que soit le niveau d’étude des parents et leurs moyens matériels, cela ne peut pas rentrer en compte dans la réalisation de ce mémoire !

Pour les autres écoles, le Doris a aussi changé depuis la nouvelle direction. La directrice semble avoir bien pris ses marques et comme c’est l’ancienne enseignante de l’Angelita, elle reste très attentive à la bonne intégration des élèves de l’Angelita au collège. D’ailleurs, comme le Doris est bien plus proche géographiquement, les élèves de l’Angelita viennent de préférence aux animations du Doris et non du CDI comme avant. Je n’ai pas vu d’élèves fixés sur téléphone ou tablette comme ça pouvait être le cas avant. L’ambiance est vraiment agréable et la directrice toujours passionnée par son métier. À l’Angelita, les enfants sont toujours uniques. Je n’en connaissais plus aucun, tous ont fini la primaire, mais leur manière d’être est semblable : attentifs, curieux, débrouillards, intelligents. Leur professeur du moment m’expliquait que depuis qu’elle était leur enseignante, elle avait mis l’accent sur le respect des règles de vie et de travail ainsi que l’expression orale. Ils m’ont donc fait une démonstration des débats improvisés qu’ils faisaient ensemble sur un thème donné par la professeure.

J’ai été très contente de retrouver les enfants que j’ai connus, certains ont énormément grandi et changés. D’autres ont vécu de très durs moments. D’autres sont partis dans d’autres pays suite à la crise...

Lucie