Le 15 septembre

Le 15 septembre fête nationale dans toute l’Amérique Centrale Résumé d’un article de Giorgio Trucchi, journaliste italien résident au Nicaragua

L’histoire se répète, mais avec de nouvelles graines de liberté

Il fut un temps où l’Amérique Centrale était une seule terre, une seule nation, une seule patrie. Toutefois, ce fait ne parvint pas à créer des institutions durables. L’idée d’unité à peine née, les forces conservatrices l’ont vue comme dangereuse pour leurs privilèges. Aujourd’hui, le Honduras est victime des mêmes classes sociales attachées aux mêmes privilèges. Le coup d’Etat est la réédition d’une vieille histoire de domination, mais cette fois-ci elle a réveillé une conscience parmi la population en attente d’une occasion.

L’historien Juan Bautista Vico (1668-1744) fondateur de la philosophie de l’histoire écrit dans son œuvre « La Nouvelle Science » - que l’histoire est un objet de connaissance parce que les êtres humains sont le produit de leur action. Pour lui, l’histoire n’avance pas d’une façon linéaire, mais sous forme de cycles qui se répètent et qui impliquent toujours des avancées et de retours. Mais il ne s’agit pas d’un éternel retour de toutes les choses, sinon un retour à un stade qu’on pensait dépassé, mais qui est maintenant vu dans une nouvelle perspective.

Le processus de l’indépendance et de l’unité centraméricaine Selon Aldo Diaz Lacayo, historien et analyste politique nicaraguayen, il n’y a pas eu une vraie indépendance en Amérique centrale par manque d’un mouvement politique structuré au niveau régional avec cet objectif et qui aurait lutté pour l’obtenir.

Au début de 1800, l’Amérique centrale était encore sous domination du Royaume de l’Espagne. La capitainerie Générale de Guatemala comprenait les provinces du Guatemala, le Honduras, le Nicaragua, le gouvernement du Costa Rica et les Intendances du Chiapas et du Salvador.

Lorsque l’annexion du Chiapas par le Mexique fut rendu publique, les autres provinces, avec tous les territoires sous leur juridiction, décidèrent de se déclarer indépendantes. Ainsi le dernier gouverneur de la Capitainerie Guatémaltèque, Gabino Gainza, convoqua une junte de notables pour faire la déclaration d’indépendance. Ce congrès décida la création de la Fédération des provinces Unies d’Amérique Centrale, comprenant le Guatemala, le Honduras, le Nicaragua, El Salvador et le Costa Rica, avec la ville de Guatemala comme capitale. Cet acte d’indépendance eut lieu le 15 septembre 1821.

La fédération se maintint avec de grosses difficultés puisque les conservateurs, le clergé de l’église catholique et les grands latifundistes s’opposèrent au projet. Toutefois une Constitution pu être proclamée et le premier président fut Manuel José Arce (1825-1829)

Très vite un choc entre le gouvernement fédéral et les provinces se produisit. De fréquentes insurrections eurent lieu et le président José Francisco Barrundia (1829-1830) dû remettre son mandat au général Francisco Morazan, défenseur de l’autonomie des provinces. Il fut élu président de la fédération.

Pour Diaz Lacayo, l’année 1829 fut très importante à cause de l’arrivée des libéraux au pouvoir de la République Fédérale. « En arrivant au pouvoir, les libéraux voulaient faire la vraie République Fédérale ce qui provoqua un grand conflit avec les autorités des différents pays qui en faisaient partie » Le général Francisco Morazan lutta plus de dix ans pour ce qu’il considéra comme une guerre tardive de l’indépendance de la révolution libérale. Il s’affronta aux latifundistes et aux riches commerçants qui dominaient la fédération. Il impulsa des mesures en faveur des plus faibles et du développement autochtone de la région avec l’objectif de constituer et de renforcer une classe bourgeoise nationale. Il proclama le libre commerce, défendant les intérêts de la région contre l’appétit démesuré des producteurs étrangers et s’attacha à la promotion et le développement des exportations. Il fut aussi un rénovateur des systèmes éducatifs de son époque, définit la responsabilité de l’Etat dans

l’éducation populaire. La séparation de l’église catholique et de l’Etat et l’absolue liberté de culte furent proclamées et le divorce a été légalisé. Avec ces lois, il fut parmi les penseurs les plus libéraux de son époque.

Face à la réalité d’une hiérarchie belliqueuse et alliée aux forces les plus réactionnaires, Morazan a expulsé du pays plusieurs personnalités. Ensuite, avec le consentement du Congrès de la République, il a confisqué, sans indemnisation, les biens et propriétés des paroisses expatriées et des ordres religieux qui furent convertis en patrimoine de l’Etat.

Il a également aboli tous leurs privilèges, telle la dîme que les paysans devaient donner au clergé. Avec ces mesures, il a cassé le pouvoir économique de l’Eglise et a libéré les paysans, les travailleurs et les indigènes des relations féodales d’exploitation de la part de l’église catholique. Ces réformes rencontrèrent bien sûr une forte opposition. En septembre 1842 débuta au Costa Rica un mouvement contre Morazan. Il fut capturé et exécuté le 15 du même mois.

En termes idéologiques et politiques, on peut dire – selon Diaz Lacayo- que d’une certaine façon les faits qui se déroulent actuellement au Honduras reflètent ce qui s’est passé en 1821. Avec le coup d’Etat au Honduras nous voyons les mêmes acteurs de toujours, tâchant de rompre le processus d’unité régionale et continentale, promu principalement par le Système d’intégration centraméricaine (SICA) et l’ALBA. Nous voyons aussi comment l’histoire se répète : quatre pays luttant pour l’Amérique Centrale, et un pays, le Costa Rica, se détachant du processus d’unification.

Un autre élément contre l’unité est l’idéologie des armées guatémaltèques et salvadoriennes. Ces armées, comme celle du Honduras, qui ont été formées par l’appareil de sécurité des Etats-unis, sympathisent avec le coup d’Etat et empêchent d’une certaine façon que les gouvernements de ces pays prennent des mesures plus fortes contre le gouvernement de facto du Honduras

En 1821, la population centraméricaine ne participa guère au rêve d’unité, mais ce qui s’est passé le 28 juin dernier au Honduras paraît avoir déclenché dans ce pays et dans toute la région quelque chose que les auteurs du coup d’Etat n’avaient pas prévu.

Le coup d’Etat au Honduras a fait apparaître un mouvement social souterrain, qui n’avait pas trouvé une force de cohésion pour pouvoir s’exprimer pleinement. Cette cohésion, c’est le coup d’Etat qui l’a permis. L’objectif du coup d’Etat est sans aucun doute de rompre l’unité centraméricaine et surtout l’unité de l’ALBA. Cet objectif fut assumé publiquement par la droite nord-américaine et quelques membres du gouvernement Obama.

Cependant – assure Diaz Lacayo – ils ne pourront pas rompre cette unité parce que le mouvement populaire hondurien a fait un saut qualitatif, a permis l’union de différents secteurs de la société. Ce mouvement populaire veut la Constituante proposée par le Président Zelaya. Mais quelle réponse donnera le futur gouvernement après les élections qui de toute façon ne pourront avoir lieu qu’après le rétablissement de la démocratie.

Si ce gouvernement cherchait à former une alliance avec le Panama et le Costa Rica contre le processus d’unité régionale, s’isolant des autres pays progressistes et contre l’ALBA, il est possible que la situation en Amérique Centrale devienne explosive. Ce seront alors de nouveau les peuples qui souffriront, comme après 1821.