Le FSLN et les droits de la femme

Le FSLN et les droits de la femme Entretien avec Scarlet Cuadra Waters par Karla Jacobs, le 8 décembre 2009

Scarlet Cuadra est une journaliste originaire de Bluefields de la côte caribéenne du Nicaragua. Elle a 20 ans d’expérience dans les médias alternatifs. Dans les années 80, elle était éditrice de Barricada International, la version internationale du quotidien du premier gouvernement révolutionnaire du FSLN. Actuellement elle édite la revue CORREO, une revue de gauche qui traite de thèmes nationaux et régionaux. Elle est aussi responsable de la communication du projet de développement intégral du quartier Acahualinca, un projet financé par l’Espagne pour améliorer la vie des familles qui travaillent à la décharge de Managua, la Chureca, ainsi que l’amélioration de l’environnement et du recyclage.

K.J. Le thème des relations entre le FSLN et les droits des femmes nicaraguayennes intéressant et montre quelques contradictions. C’est aussi un thème que les secteurs progressistes internationaux ne comprennent pas bien. On observe avec un peu d’ironie que les médias internationaux et même les médias alternatifs se préoccupent davantage des droits de la femme nicaraguayenne au moment même où le gouvernement leur donne plus de droits et plus de pouvoir. Cela vient peut-être du fait que l’agenda des femmes de certains secteurs de gauche des Etats-Unis et de l’Europe n’est pas le même que celui des Nicaraguayennes, en plus de la mauvaise foi de certains journaux. En tant que Nicaraguayenne et journaliste quels sont à votre avis les points clé de la politique en faveur des femmes au Nicaragua ?

S.C. Les médias et les mouvements de femmes parlent avant tout du thème de l’avortement thérapeutique et du droit des femmes d’en décider. Moi, en tant que femme, je m’identifie pleinement avec celles qui demandent le droit de disposer de leur corps, de décider combien d’enfants on veut ou peut avoir, donc de la possibilité de l’avortement. Toutefois je ne vois pas l’avortement comme une méthode de planification familiale. Mais bon, c’est une autre histoire, mais elle est très intéressante.

L’éducation : la clé pour le développement dans son ensemble

Mais si tu me demandes comment je vois les politiques clé envers les femmes, je dois aborder le thème de l’éducation. On observe ici un enthousiasme pour la création de nouvelles possibilités d’accès de la population – hommes et femmes –à l’éducation. C’est la clé du développement d’une société, mais aussi d’un individu…. Si tu as l’information, si tu as le savoir, si tu peux les partager et si d’autres les ont aussi, alors tu avances. Celui qui a la connaissance avance et ne s’arrête pas. La politique éducative du gouvernement du FSLN est pour les hommes et pour les femmes… Mais il a été oublié jusqu’à présent que c’est nous, les femmes qui sommes la courroie de transmission des connaissances et de l’information. Alors quand il y a une politique et une volonté publiques qui sont confirmées dans les faits d’ouvrir les salles de classe, de donner accès à la connaissance, ce sont les femmes qui en bénéficient le plus… Ça, c’est la première clé. Et je peux te dire que le gouvernement cherche l’équité, cherche la justice sociale et a donné la priorité aux femmes.

Opportunités économiques en reconnaissance du travail des femmes

Après cela vient le thème économique. Et en ce qui concerne la politique économique du gouvernement nous n’avons pas besoin de mentionner qu’elle est principalement dirigée en appui aux femmes. Le programme du « paquet productif « connu comme « Faim zéro » donne la priorité aux foyers dans lesquels la femme est chef de famille et même dans lesquels elle ne l’est pas. Et le pouvoir est mis entre les mains des femmes parce que ce sont elles qui ont toujours eu la responsabilité de l’économie du foyer. À présent elle n’a pas seulement la responsabilité, mais en reconnaissance de cette responsabilité, on lui donne les moyens pour améliorer son niveau de vie par l’apport de poules, de cochon, d’une vache gestante etc. Certains se moquent de ce programme, mais ils ne savent pas ce que représente pour les familles un tel apport destiné d’abord à la survie et que la gestion de ce dernier produit aussi un changement important, avec en premier lieu une meilleure alimentation. En ce qui concerne les charges publiques, les femmes sont présentes dans les collectifs, prennent des décisions, participent , c’est-à-dire qu’elles sont présentes non seulement dans les sphères du gouvernement mais aussi dans les communautés.

Au Nicaragua la participation populaire est une réalité

Ainsi, les Conseils de Pouvoir Citoyen, les CPC, sont des portes, des espaces de participation... Et si tu vas d’un endroit à l’autre, tu te rends compte qu’il y a des hommes et des femmes, mais qu’ici à Managua, dans les quartiers les plus pauvres, ce sont les femmes qui ont le plus de pouvoir… Elles participent avec une force et une volonté telle qu’on se dit « ici il se passe quelque chose » Ici on est en train d’ouvrir des portes de la participation et de la prise de décision. Cela ne va peut-être pas aussi vite que l’on souhaiterait, mais le rythme s’accélère. Sans doute beaucoup promeuvent ce type de modèle participatif, mais souvent cela paraît théorique. Tandis qu’au Nicaragua, cela se fait, cela est mis en pratique. C’est la grande différence. … et cela changera le stéréotype des relations de pouvoir.

Maintenant nous avons des ministres qui ressemblent au peuple

Récemment j’ai dit à un ami : » Tu te rends compte comment ce gouvernement a changé son visage ? Cela porte un message culturel et politique important. Maintenant les ministres ne sont ni blonds, ni blancs, ni minces, et n’ont pas un langage châtié. Ils et elles sont à l’image de la grande majorité des Nicaraguayens, ils et elles ont la peau mate, ont des traits indiens, n’utilisent pas des mots recherchés quand ils ou elles parlent avec les journalistes ou la population. Cela veut dire qu’il y a une volonté du gouvernement de changer de visage, de s’approcher davantage des gens pour qu’ils voient que ce gouvernement fait partie d’eux et travaille pour eux. Cela donne confiance aux gens pour exercer un contrôle, pour faire des propositions, pour débattre et trouver un consensus. Il y a un pourcentage élevé de femmes dans les charges publiques et la majorité a un visage populaire. Ceci contribue d’une certaine façon à la disparition du sentiment qui s’était installé au Nicaragua, le manque d’auto estime. N’ayant pas confiance en nous-mêmes, nous ne nous imaginions pas pouvoir assumer une charge, prendre des décisions, débattre. Ainsi pendant les dernières trois années ces stéréotypes de visages européens ou nord-américains se sont rompus et cela prouve que le gouvernement a la volonté de continuer à faire des changements.

Beaucoup d’avancées dans le champ de la santé, mais aussi des problèmes à résoudre

Nous voici au thème de la santé. Je crois qu’il ne serait pas juste de stigmatiser le gouvernement pour avoir pénalisé l’avortement thérapeutique car les avancées dans le domaine de la santé que le gouvernement a impulsé profitent aussi aux femmes. Je n’ai pas les chiffres exacts en tête, mais l’indice de mortalité maternelle a baissé de façon significative….. Mais bien sûr, il faut discuter de cette question de l’avortement. Les femmes doivent se battre, provoquer un débat et générer une opinion politique favorable…

K.J. Je pensais que cette loi serait abrogée car j’avais analysé l’approbation de cette loi comme un enjeu politique afin de ne pas perdre les élections. Malheureusement depuis trois ans, le gouvernement ne l’a pas fait.

S.C. Je pensais exactement la même chose. Pourquoi sacrifier le droit de la femme à une question de conjoncture.

Nous sommes dans l’obligation d’amener de nouveau le débat sur l’avortement

… nous devons absolument continuer à lutter, à exprimer notre opinion, à créer les conditions favorables. Ce thème toutefois ne m’éloigne pas de la vision du Front Sandiniste, ni du gouvernement. On peut faire des propositions, des débats. Les militants ont la responsabilité d’exprimer leurs souhaits. Il y en a qui sont pour, d’autres contre et certains se désintéressent de cette question. Il y a suffisamment de liberté pour pouvoir en parler. Et nous ne devons pas toujours remettre ce thème à plus tard pensant qu’il y a d’autres priorités…

Les groupes de femmes qui s’opposent au FSLN

K.J. … je voudrais qu’on parle des groupes de femmes qui travaillent pour les droits de femmes et qui sont opposés au Front Sandiniste.

S.C. Mais ils ne sont pas contre le gouvernement à cause de la question de l’avortement, ils l’étaient déjà avant pour des raisons politiques. Cette question de l’avortement ne t’éloigne pas forcément du FSLN. Ils ont parfaitement le droit d’avoir d’autres opinions politiques, mais je pense que c’est abusif de faire croire que cette question est à l’origine de la séparation avec le Front sandiniste…. La droite est contre l’avortement thérapeutique et ces groupes marchent avec les partis de droite….

K.L. Alors pensez vous que ces groupes de femmes qui sont très visibles nuisent au Front sandiniste...

S.C. Elles sont aussi très intelligentes et parmi ces femmes il y en a aussi qui sont très engagées pour les droits des femmes, mais, pour différentes raisons, elles se trouvent de l’autre côté. Et je pense que ces mouvements ont en effet nuit à l’image du FSLN, surtout au niveau international.

Celles qui sont engagées avec cette lutte manquent au sein du FSLN

K.J. Parlant de l’engagement militant du Front sandiniste, pensez-vous que le fait que ces groupes ou ces femmes ne soient pas avec le parti pour lever le débat sur l’avortement constitue un désavantage ?

S.C. Je distingue deux groupes. Il y a celles qui sont les plus visibles, qui ont toute opportunité pour attaquer le projet politique du Front sandiniste et celles qui défendent les droits de la femme, qui pensent que les femmes ont le droit de décider et qui se sont éloignées du parti mais qui n’ont pas une position antisandiniste. Ces dernières nous manquent car elles pouvaient apporter beaucoup au débat sur ce thème et c’est vraiment dommage. Quant à celles qui ont des opinions politiques opposées, on n’a pas besoin d’elles car de toute façon, elles n’adhèrent pas au projet de la continuité de la révolution. Elles disent «, ‘ j’ai donné ma vie pour la révolution, j’ai fait des heures supplémentaires... Nous n’avons pas besoin de celles qui pleurent toute leur vie pour ce qu’elles ont donné. Je pense que ces personnes ont bien fait de s’éloigner et de chercher leur propre espace. Mais il y en a d’autres, et j’en connais personnellement, qui souffrent de la position du Front sandiniste et du fait qu’une fois de plus, il a bafoué les droits de la femme pour une question électorale