Lettre d’info hiver 2015/2016

Bonjour,

Une nouvelle année scolaire vient de commencer au Nicaragua.

Pour INTI c’est l’heure des bilans et de réflexions pour voir comment redynamiser notre association. Toutes vos suggestions sont les bienvenues.

Comme beaucoup, nous ressentons le malaise créé par l’état d’urgence, les problèmes non résolus des réfugiés, la montée des extrêmes droites. Alors je me suis tournée une nouvelle fois vers l’Amérique Latine où depuis plusieurs années déjà il est question du « buen vivir » inscrit dans la constitution de la Bolivie et de l’Equateur et dont il est aussi souvent question au Nicaragua. En attendant d’approfondir cette question, je vous transmets deux présentations du livre :

LE BUEN VIVIR– Pour imaginer d’autres mondes

de Alberto Acosta, Traduit de l’espagnol par Marion Barailles,

Les éditions Utopia, Paris 2014, 187 pages, 12 euros

Le « Buen Vivir », que l’on peut traduire par « vie bonne » ou « bien vivre », est un principe central de la vision du monde des peuples indigènes de la région andine.

Véritable philosophie de vie, il est compris comme le vivre ensemble dans la diversité et l’harmonie avec la nature, pour reprendre les mots du préambule de la Constitution équatorienne.

Ce concept alternatif à l’idéologie du développement se répand peu à peu en Amérique Latine et trouve un écho de plus en plus large au sein des cercles de réflexion dans les pays occidentaux.

A vocation universaliste, il pose les bases d’une relation harmonieuse entre l’homme et la nature, en rupture avec la dégradation engendrée par le modèle économique fondé sur la consommation et la croissance. Il développe une démocratie d’un type nouveau qui, en plus de prendre en compte les générations futures, intègre des segments historiquement exclus de la population: les femmes, les immigrés, les habitants des quartiers populaires…

Dans ce livre, le premier en français sur cette pensée pionnière, Alberto Acosta présente le Buen vivir comme une alternative à la folie de l’accumulation infinie de richesses matérielles qui a tout dévoré sur son passage, les humains comme la nature. Ce qui implique une volonté politique inflexible, qu’il ne faut jamais considérer comme acquise, comme Alberto Acosta a pu en faire l’expérience.

Alberto Acosta, équatorien, est économiste, enseignant chercheur et l’un des premiers théoriciens du « Buen Vivir ». Il fut président de l’Assemblée nationale constituante équatorienne, ministre de l’Energie et des Mines et un acteur de premier plan du processus révolutionnaire en Equateur. Il a été candidat à la présidence de la république pour l’Unité plurinationale des gauches en 2013, mouvement politique équatorien de tendance indigène et anticapitaliste. Intellectuel de Gauche, proche du mouvement altermondialiste, Alberto Acosta est l’un des penseurs des révolutions citoyennes d’Amérique Latine.

Le buen vivir – Pour imaginer d’autres mondes, Alberto Acosta par Didier Epsztajn

Apporter du grain à moudre au débat et suggérer quelques pistes d’action, telle est l’ambition de la contribution d’Alberto Acosta. En prenant appui sur les mobilisations et les soulèvements populaires, et en particulier des « peuples indigènes » en Équateur et en Bolivie, l’auteur discute d’alternatives possibles à l’ordre/désordre du monde. Comment construire collectivement une autre façon de vivre ? L’auteur insiste, entre autres, sur le plurinational et l’interculturel, les formes actives d’organisation sociale, les discours contre-hégémoniques, les nouveaux imaginaires collectifs, l’autosuffisance, l’autogestion, la recherche de solutions mondiales urgentes…

Il critique la divinisation de l’activité économique, le modèle de la société nord-américaine, les politiques de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, les réformes néolibérales, le modèle d’accumulation extractiviste, la consommation à outrance.

Il analyse aussi les limites de la croissance, sa non-soutenabilité, en regard de l’environnement, le spectre du progrès, la domination des marchés, le racisme systémique, le mépris envers les pratiques et les cultures « indigènes »…

Alberto Acostar détaille le Buen Vivir comme alternative au développement, les relations à la « Nature », la nécessaire démarchandisation des éléments de l’environnement…Il souligne la responsabilité asymétrique dans les dommages causés et donc dans le paiement de la dette écologique. L’auteur indique « La constitution équatorienne de 2008, en reconnaissant les Droits de la Nature, c’est-à-dire en comprenant la Nature comme sujet de droit et en lui accordant le droit d’être intégralement restaurée après destruction, a établi un point de repère dans l’humanité. Tout aussi importante est l’incorporation de l’expression Pacha Mama, considérée comme synonyme de Nature, car elle marque la reconnaissance du plurinational et du multiculturel ».

Je ne suis pas sûr que le vocabulaire choisi soit le plus adéquat même si l’auteur souligne très justement la destruction des conditions biophysiques d’existence par le capitalisme. Contre les visions anhistoriques (ne tenant pas compte de l’histoire), Alberto Acosta ajoute que « Il a fallu au cours de l’histoire faire reconnaître le droit d’avoir des droits, ce qui a toujours nécessité un effort politique afin de faire changer les opinions, les coutumes et les lois qui niaient ces droits ».

J’ai notamment apprécié les passages contre la marchandisation de l’eau, sur la souveraineté alimentaire et énergétique, l’approche transversale des Droits Humains sous l’angle écologique, l’initiative Yasuni-ITT. Sur ce dernier sujet, un encart ajouté d’Alberto Acosta critique, à juste titre, les choix de Rafael Correa sur l’exploitation du pétrole et l’enterrement de cette initiative.

À noter que si l’auteur n’oublie pas le patriarcat, « il faut bien admettre que patriarcat et machisme sont profondément enracinés dans nombre des cultures indigènes », aucune piste de réflexion sur ce sujet n’est proposée. De nombreux points me semble discutables, dont la valorisation unilatérale de certaines pratiques, les rapports à l’État, la relativisation des rapports sociaux de classe et de sexe, une certaine essentialisation de la famille ou de la nature (même si l’auteur parle de construction sociale), l’absence de propositions « institutionnelles » pour rendre inclusive la démocratie. On pourra aussi discuter des notions de nation ou de culture peu historicisées ou celle de biocentrisme…

Une contribution intéressante aux nécessaires débats pour sortir du mode de production capitaliste, de l’extrativisme et du productivisme. « Le Buen Vivir est un chemin qui doit être imaginé pour être tracé ».


Nous sommes en train de préparer la FOIRE AUX LIVRES du mois d’avril.

Depuis la dernière manifestation beaucoup de cartons de livres ont été donnés par des particuliers et doivent être triés. Heureusement plusieurs bénévoles nous aident dans cette tâche.

Nous allons aussi participer une nouvelle fois au MARCHE DES CONTINENTS de Chambéry au mois de juin. Mais avant, nous vous donnerons bien sûr d’autres informations sur nos projets.

Vivement le printemps – dans la nature et dans les esprits.

Salutations chaleureuses

Ruth Mougel

P.S. Le bilan financier détaillé avec les réflexions du trésorier sera sur le site de INTI.