La voix dissonante du Forum de São Paulo, par Maurice Lemoine (Mémoire des Luttes)

Publié par Venezuela infos dans ALBA, Bolivie, Cuba, déstabilisation et violences de la droite, histoire de la révolution bolivarienne, Internationalisme/Solidarité, Nicaragua, souveraineté, unité latino-américaine 27 juillet 2018 par Maurice Lemoine
Extraits

La 24e édition du Forum de São Paulo (FSP), rencontre qui rassemble les partis et mouvements progressistes de l’Amérique latine et de la Caraïbe, s’est tenue à La Havane du 15 au 17 juillet. Fondé en 1990 par le président cubain Fidel Castro et celui qui n’était encore que le dirigeant au Brésil du Parti des travailleurs (PT), Luiz Inácio Lula da Silva, ce rassemblement accueillit d’emblée tant des partis de gauche modérés que des formations forgées dans la lutte armée, des partis communistes (dont le PCC cubain) et leurs différentes scissions. « Affronter le néolibéralisme en Amérique latine, nous expliquera bien plus tard Valter Pomar, membre de la direction nationale du PT, exigeait une attitude ouverte et plurielle, prenant en compte tant la crise traversée par le communisme que celle frappant la social-démocratie. »
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Pour peu que l’on fasse preuve d’un minimum d’honnêteté intellectuelle ou simplement journalistique, en aucun cas l’explosion de violence nicaraguayenne ne peut être qualifiée de lutte du bien contre le mal, des « gentils étudiants » contre le méchant « caudillo » 1. Lire : Daniel Ortega. Qu’un policier (ou un civil) tuant un manifestant soit un assassin est parfois ou souvent vrai. Tout dépend du contexte et des circonstances. Mais qu’un contestataire mâtiné de délinquant blesse un policier (ou un militant sandiniste), le tue, l’arrose d’essence, puis le brûle, n’en fait pas, même béni par les évêques, un membre pacifique de la « société civile ».

Il faut une certaine dose de naïveté, l’arrogance de ceux qui savent disposer à l’étranger de puissants appuis ou une totale méconnaissance du Nicaragua pour s’imaginer que, dans un pays où ils ont renversé au prix de milliers de morts la dictature de Somoza, puis ont résisté, les armes à la main, au prix d’autres milliers de morts, pendant dix ans, à l’agression américaine, puis ont accepté de rendre démocratiquement le pouvoir après avoir perdu les élections, puis les ont regagnées tout aussi démocratiquement et ont bénéficié de programmes sociaux, les sandinistes acceptent sans réagir de voir l’opposition se livrer à une tentative brutale de renversement du président qu’ils ont élu. D’où, aux côtés des forces de l’ordre, l’apparition de groupes de militants souvent « historiques » – rebaptisés « paramilitaires » par les médias – répondant parfois par les armes, pour le meilleur – la libération de populations prises en otage – et aussi le pire – une violence meurtrière incontrôlés –, à une situation insurrectionnelle également armée (ce qui ne signifie nullement qu’il n’existe pas d’opposants pacifiques, on l’aura compris).

Seulement, il est parfois très mal vu de se référer à un « réel » aussi complexe. Et la solidarité avec les « étudiants » dressés contre l’ « infernal couple sandiniste Ortega-Murillo 2 » (comme ceux du Venezuela s’opposant en 2014 à Maduro !) prend parfois de bien curieux chemins. Le 20 juillet, en France, en appelant à l’arrêt immédiat des violences (option que nous partageons), le Groupe d’amitié interparlementaire France – Mexique et pays d’Amérique centrale a « condamné l’aggravation des attaques visant ces derniers jours des groupes de religieux et d’étudiants qui manifestent contre le gouvernement » et déploré « l’intervention de groupes paramilitaires « sandinistes » lourdement armés. »

Pour arriver à cette conclusion sans nuance, qui ne met en cause que le pouvoir, ce groupe d’élus s’est contenté de recueillir le témoignage de trois étudiantes d’opposition en tournée de propagande européenne, qui lui ont été amenées sur un plateau, et de s’entretenir avec des représentants de la section française d’Amnesty International. Certes très respectée, cette organisation non gouvernementale (ONG) a une fâcheuse tendance à ne condamner « que » la violence des Etats et paraît considérer relevant de « la violence légitime », nous y revenons, la déstabilisation, l’organisation insurrectionnelle du chaos, la tentative assumée de renversement d’un président démocratiquement élu, l’utilisation des séquestrations et de la torture, ou l’usage d’armes létales contre les forces de sécurité. Toutes choses dûment constatées au Nicaragua (et en 2014 et 2017 au Venezuela).

Pourquoi ne pas prendre également en compte l’appel de l’Association des travailleurs ruraux (ATC), référent nicaraguayen de l’également très respectée (mais dans les milieux populaires et anticapitalistes) Vía Campesina, pour que « cesse la violence et la manipulation médiatique des classes dominantes avec l’appui des forces de l’Empire lire : les Etats-Unis 3  » ?

Cette suggestion passablement naïve ne tient évidemment pas compte de la composition politique de ce groupe parlementaire de supposés amis français du Nicaragua : huit de ses membres appartiennent au parti Les Républicains (LR) ; neuf à l’Union centriste (UC) ; quatre au Groupe socialiste et républicain (SOCR, socialiste et apparentés) ; un à La République en Marche (LREM) ; un au Rassemblement démocratique et social européen (RDSE, très majoritairement « macroniste »). Disons : du centre mou (pour être aimable) à la droite dure (pour être précis).

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A ces adversaires somme toute évidents, se joignent curieusement d’autres chevaliers de l’« axe du bien ». Le 18 juillet, un groupe latino-américain « d’intellectuels, de militants sociaux et d’universitaires », comme eux-mêmes se définissent, a émis une « déclaration urgente sur le Nicaragua » : « Nous voulons exprimer notre profond rejet face à la très grave situation de violence politique d’Etat et de violation des droits humains que traverse le Nicaragua, avec pour responsable l’actuel régime Ortega-Murillo ». Suit une dénonciation féroce du « dictateur, aveugle de pouvoir et aux mains tachées de jeune sang » et du « gouvernement illégitime et criminel qui, aujourd’hui, usurpe la mémoire sandiniste 4 ». Parmi les signataires, le ban et l’arrière-ban de l’ « anti-corréisme » équatorien dit « de gauche » emmené par Alberto Acosta, les détracteurs d’Evo Morales sous la conduite de Pablo Solón /a et, emmenés par l’inévitable Edgardo Lander, les contempteurs dits « progressistes » de Maduro.
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Sur la gauche du champ politique, deux thèses s’affrontent donc à fleurets de moins en moins mouchetés. Dans son appel « Nicaragua » et sa dénonciation de la répression, la noble Inquisition haut de gamme s’indigne : « Et cette indignation devient encore plus intense quand ce panorama de violence politique d’Etat s’accompagne du silence complice de leaders politiques et de référents intellectuels (auto)proclamés de gauche. » Dans la tranchée d’en face, beaucoup plus modeste, car émanant de paysans nicaraguayens, l’Association des travailleurs ruraux (ATC) avertit : « Nous informons la Coordination latino-américaine ... que certains réseaux sociaux, ONG internationales et analystes qui s’auto-définissent comme de gauche se font l’écho de l’appel des forces réactionnaires au Nicaragua et, à travers une communication permanente, tergiversent la réalité du pays en prétendant représenter la majorité du peuple et la vérité absolue ; en tant que partie prenante de la manipulation médiatique, ils vont jusqu’à favoriser des déclarations qui ne tiennent aucun compte des faits et de la souffrance du peuple de Sandino (…).  »

Qui croire ? On ne prétendra pas ici détenir « la vérité ». En revanche, pour éclairer la lanterne de ceux qui s’interrogent de bonne foi, on se penchera, en s’attachant aux faits, sur le récent Forum de São Paulo (que l’appareil médiatique, est-ce un hasard, a totalement occulté).

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: « Unité ! » Au-delà de leurs sensibilités différentes, inspirés par « l’offensive multiforme, réactionnaire et conservatrice de la restauration néolibérale », tous ces délégués de la gauche latino-américaine se sont retrouvés sur l’essentiel, exprimé à travers les Conclusions finales (et une quarantaine de « résolutions »). En voici, résumés, quelques éléments : « Nous dénonçons l’ingérence de l’OEA, qui continue à être considérée par le gouvernement des Etats-Unis comme son ministère des Colonies. Les agissements de son secrétaire général Luis Amlagro, marqués par une méprisable soumission aux intérêts de la Maison-Blanche, le prouvent tous les jours. L’OEA et le Groupe de Lima 14 constituent les chevaux de Troie contre l’unité latino-américaine et caraïbe. »

« Nous condamnons la guerre non conventionnelle et de large spectre imposée par l’impérialisme “yanki” et ses alliés européens, latino-américains et caraïbes contre la Révolution bolivarienne. (…) Comme il y a un an à Managua, le FSP reste en état d’alerte et en session permanente de solidarité internationaliste contre l’intervention au Venezuela. » « Nous réaffirmons notre absolue volonté de parier pour la paix, en concordance avec la Celac Communauté des Etats latino-améri... qui, en janvier 2014 a déclaré l’Amérique latine zone de paix. Pour cette raison, nous appuyons la demande des forces politiques et sociales de Colombie pour que le gouvernement de ce pays mette en œuvre les Accords de La Havane, maintienne ouvert le dialogue avec l’ELN Armée de libération nationale et fasse des pas authentiques pour en finir avec l’assassinat d’ex-combattants, de dirigeants sociaux, politiques, écologistes et défenseurs des droits humains. »

« Nous rejetons de manière énergique la politique interventionniste des Etats-Unis dans les affaires internes du Nicaragua sandiniste, pays dans lequel est mise en œuvre la méthode appliquée par l’impérialisme nord-américain aux pays qui ne répondent pas à ses intérêts hégémoniques, causant la violence, la destruction et la mort à travers la manipulation et l’action déstabilisatrice des groupes terroristes de la droite “golpista”.  »