Séjour au Nicaragua – février 2019

Après les évènements de d’une grande violence que le pays avait connu à partir du mois d’avril en 2018, nous avions hâte de retrouver nos amis et de nous rendre compte de leurs répercussions

Encore maintenant, de nombreuses personnes ne comprennent pas vraiment n’a pourquoi il y a eu un tel déchainement de violence, de haine et de mensonges sur les réseaux sociaux et dans les médias nationaux et internationaux. Pratiquement toutes les personnes que nous avons rencontrées, sandinistes ou non, nous ont dit sans même que nous les interrogions et que nous les connaissions auparavant « Ce fut terrible ce que nous avons vécu pendant les mois d’avril à juillet, tout le pays était paralysé, personne n’osait plus sortir après 4h de l’après-midi »

Nous avons eu plusieurs témoignages que des militants sandinistes ont été victimes d’une véritable chasse. Ainsi à Managua dans le quartier nommé « Hugo Chavez », un jeune coordinateur du quartier très apprécié de 26 ans a été tué. Dans un quartier proche du « Rond-point des journalistes », un vieux travailleur social a échappé de justesse à la mort. Dans le reste du pays, des maires membres du parti sandiniste ont dû se cacher, un policier raconte que la maison de ses parents a été criblée de balles. Face aux menaces, le CDI Eduardo Contreras, a dû protéger une des entrées par de grands portails en fer.

Nous n’avons pu voir qu’une toute petite partie des destructions. Ainsi de l’édifice assez grand du supermarché paysan créé par la FECODESA (Fédération des coopératives de développement agricole) dans le centre de Managua que nous avions visité pour la dernière fois en 2015, il ne reste plus à présent que des débris. On voit toujours des impacts de balles dans les vitres des étages supérieurs du MEFCCA (Ministère de l’Economie Familiale, Communautaire, Coopérative et Associative). La bibliothèque du marché de Masaya est disparue, le CDI Arlen Siu a été brûlé, une résidence d’étudiants, des laboratoires, des bureaux etc. de l’université publique UNAN dévastés. L’Université a été occupée pendant plusieurs semaines par des « étudiants ». Finalement la police est intervenue pour mettre fin à cette occupation. Deux enseignantes de l’UNAN qui ont fait partie de l’équipe bénévole de nettoyage nous ont raconté dans quel état elles ont retrouvé les lieux, les destructions et les immondices.

Leon UNAN.png

Centro Universitario de la Universidad Nacional de Leon – avril 2018

Les mairies de Granada et de León situées dans des édifices historiques de l’époque de la colonisation espagnole ont particulièrement souffert ce qui a provoqué la destruction de précieuses archives. Des amis nous ont montré des photos de la reconstruction en cours de la façade de la mairie de Granada, l’intérieur ayant été complètement brûlé.

Plusieurs personnes nous ont rapporté que les barrages routiers entre avril et juillet 2018 ont obligé de nombreuses écoles publiques à fermer pendant plusieurs semaines, mais que le CDI Eduardo Contreras lui-même ainsi que le collège Doris Maria Morales Tijerino et le programme Angelita Morales Aviles n’ont été affectés qu’un minimum, notamment parce que plusieurs enseignants et d’autres personnels nécessaire au fonctionnement ont pris la décision de ne pas rentrer à leur domicile mais plutôt de dormir sur place. Mais en général le nombre de personnes qui furent empêchées de travailler normalement a été très élevé et cela a eu un rôle dans la disparition de postes de travail.

Le nombre de personnes dont l’emploi a été détruit et qui ont donc perdu leur revenu à cause des événements se chiffre en milliers (nous avons entendu le chiffre de 140.000 mais les données manquent semble-t-il). Cela a pour conséquence que certaines familles ont été obligées de retirer leurs enfants des écoles privées où ils étaient inscrits. Est concerné, le projet éducatif DMMT (Doris Maria Morales Tijerino) que nous soutenons depuis 1992.

Cependant certaines personnes nous ont dit que le gouvernement n’a pas eu une réaction adéquate face à certains événements avant même le début des manifestations déclenchées en avril 2018 par la réforme de la sécurité sociale. Ainsi il n’a pas bien mesuré la sensibilité des habitants à l’incendie au début de l’année 1998 dans la réserve naturelle « Indio Maïs » qui pour beaucoup faisait bien partie du patrimoine de la nation et qui, de plus, se trouvait à proximité de zone qui avait été envisagée pour percer le canal transocéanique. Il ne faut pas oublier que ce projet avait soulevé d’importantes manifestations, notamment de paysans qui craignaient l’expropriation, mais aussi de personnes qui protestaient contre les trop grands dommages susceptibles d’être faits à l’environnement. Ce projet semble être sorti de l’actualité du gouvernement du Nicaragua, mais ce dernier n’a pas dit non plus qu’il l’abandonnait et résiliait par conséquent le contrat de concession à l’entreprise HKND (Hong Kong Nicaragua Development Group) créée par l’homme d’affaires chinois ayant fait fortune dans le domaine des télécommunications Wang Jing.

Autre thème, mal pris en compte par le gouvernement du Nicaragua : le droit des femmes et notamment leur revendication de disposer librement de leur corps et de décider d’enfanter ou non. Le 8 mars 2018, journée internationale du droit des femmes, une importante manifestation a eu lieu à Managua. Or comme suite au pacte conclu entre le parti sandiniste et l’église catholique avant le retour au pouvoir de Daniel Ortega en 2007, l’avortement demeure interdit et puni pénalement au Nicaragua même en cas de viol. Nous n’avons pas connaissance d’emprisonnements pour ce motif, mais la loi est cependant toujours en vigueur.

Le congrès du parti sandiniste a désigné pour le représenter aux élections de novembre 2016 Daniel Ortega comme président de la République et sa femme Rosario Murillo comme vice-présidente et ensemble ils ont remporté ces élections à une majorité incontestable. Mais, indépendamment de l’image internationale du couple présidentiel, si de nombreux Nicaraguayens admirent la capacité de travail de Rosario Murillo et son engagement pour régler les problèmes sociaux, d’autres supportent mal qu’elle concentre tous les pouvoirs et son discours mystico-religieux permanent.

Donc, selon ces interlocuteurs, la réforme de la sécurité sociale en avril 2018 a accentué le phénomène de « ras le bol » que ressentait déjà une partie de la population et on a pu nous dire aussi que le retour au calme – à partir de juillet 2018 ne s’est pas fait non plus sans des méthodes de répression contestables.

Cependant les programmes d’investissement dans les infrastructures et projets sociaux se sont poursuivis. Nous avons vu les travaux d’élargissement et de revêtement – par asphalte ou pavés de ciment - de la route vers Matagalpa. Les enfants des écoles publiques ont reçu un sac à dos contenant du matériel scolaire. La remise de titres de propriétés se poursuit. Un projet permet l’accès à la propriété d’une petite maison en payant 20 $US par mois. Toutefois on voit encore beaucoup de pauvreté dans le pays. C’est le cas dans un grand quartier de Mateare où des familles avaient reçu un terrain par le gouvernement pour y construire leur habitat, mais peu de familles ont pu rendre l’endroit agréable. Elles ont l’eau courante et l’électricité mais la misère est visible.

Le Nicaragua était pourtant sur la bonne voie pour réduire la pauvreté et avait, de ce point de vue, dépassé le Salvador et le Honduras, mais les conflits violents de l’année dernière ont ramené le pays 5 ans en arrière. Fin janvier 2019 l’Assemblée Nationale du Nicaragua a approuvé une loi sur la culture de dialogue, réconciliation, sécurité, travail et paix. Ce fut le résultat d’un ample processus de consultation de milliers de personnes dans tous les départements. Elle se donne comme objectif de rechercher une solution aux conflits, de promouvoir la tolérance, la solidarité, la coopération et le respect des droits individuels et collectifs et ainsi consolider la paix. Pendant quatre mois tous les secteurs de la société ont été consultés. Cette loi doit renforcer les droits humains, le bien-vivre et le sens de l’unité nationale et afin d’éliminer la violence. Pour mettre en pratique cette loi, des réunions publiques ont eu lieu un peu partout. Celle de Masaya a été suivie par des centaines de personnes en présence d’un représentant du FSLN et d’une femme de du Ministère de la famille MIFAMILIA.

Nous avons déjà publié sur notre site un article sur toutes les destructions de bâtiments publics, routes, ambulances etc. des dommages qui se chiffrent en milliards de dollars. Mais contrairement à la France où l’on voit des casseurs dans la mouvance des « gilets jaunes » s’attaquer aux magasins de luxe et aux banques, au Nicaragua aucune banque privée et aucun édifice des grands entrepreneurs comme par exemple les Pellas, ni les universités privées, n’ont été endommagé.

A la suite de toutes ces destructions et actes barbares en 2018, il y a eu des arrestations à grande échelle. Les premiers jugements furent très sévères, mais la Constitution prévoit des peines maximales de 30 ans avec remise de peine pour bonne conduite. Difficile de savoir combien parmi les prisonniers étaient impliqués dans les meurtres et les saccages et combien ne sont que de petits délinquants ou opposants politiques. Plusieurs associations impliquées dans ce golpe (coup d’Etat doux) et ayant reçu des financements des Etats Unis ont perdu leur personnalité juridique.

Managua a beaucoup changé depuis notre dernier séjour : beaucoup de nouveaux immeubles ; des passerelles pour permettre aux piétons de traverser les grandes voies de circulation, des voies et carrefours surélevés pour rendre la circulation plus fluide, le Malecon Salvador Allende – voies piétonnes et aménagements pour les enfants, restaurants tranquilles sur les berges du lac Xolotlan bordant la capitale - s’est agrandi et il est très fréquenté les fins de semaines par la population locale, partout des terrains de jeux très colorés dans les parcs, le parc Alfonso Velasquez impressionne par sa transformation en de très nombreux de terrains de sport pour les jeunes jeux pour enfants, de nouveaux stades de base-ball et de foot, la multiplication des abris-bus, souvent investis par des petits marchands. Le Palais National de la culture a enrichi ses collections d’art précolombien, de peintures et comporte une très belle présentation de l’histoire du pays.
Parque Velasquez.jpg

un des nombreux terrains de sport du parc Alfonso Velasquez

Nous voulions connaître les transformations des quartiers proches de las Brisas comme El Pantanal où des familles s’étaient installées dans des habitats précaires avec branchement illégal d’électricité. À présent, les maisons sont en dur, la rue est pavée et l’électricité est installée légalement et en sécurité.

De gros progrès ont été réalisés dans la collecte des ordures avec la disparition de l’immense décharge La Chureca et la réalisation d’une usine de recyclage financée par la coopération espagnole et la mairie de Managua. Elle a été inaugurée en 2015 et emploie 500 personnes. En même temps, 258 maisons ont été construites ainsi qu’un CDI, une école, une cantine, un centre de santé et un poste de police. Dans les quartiers environnants de nombreuses familles travaillent dans le domaine du recyclage. Malheureusement nous n’avons pas eu suffisamment de temps pour obtenir un droit de visite de cette usine qui traite environ 1.200 tonnes de déchets par jour et qui permet donc que ceux-ci ne contaminent plus le lac.

Pendant tout notre séjour, nous avons pu constater que le tourisme qui était en pleine expansion avant les évènements violents est, malheureusement, tombé au plus bas. Les vendeuses du Marché Huembes attendent en vain des clients tout comme celles des marchés et des potiers de Masaya. Toutefois les grands paquebots avec de milliers de touristes arrivent aux ports de Corinto et surtout de San Juan del Oriente.

Notre départ a coïncidé avec la reprise du dialogue entre le gouvernement et l’opposition. Depuis lors, si la première semaine s’est passée correctement et a pu permettre de se mettre d’accord sur une feuille de route, l’opposition a boycotté la négociation dès la deuxième semaine. Heureusement nous venons d’apprendre qu’après que le nonce apostolique ait protesté avec véhémence contre les attitudes de mauvaise foi manifeste et même les mensonges proférés par cette opposition, le dialogue vient de reprendre. Les négociations se font en présence d’un représentant de la OEA (Organisation des Etats d’Amérique) Le gouvernement a également sollicité la Croix Rouge pour régler le problème des prisonniers.

Les Nicaraguayens que nous avons rencontrés ont pour seul désir celui de pouvoir travailler et de retrouver la paix. Partout des formations sont proposées. Ainsi lors de notre week-end dans la réserve naturelle de Peñas Blancas, des jeunes des villages environnants apprenaient comment installer des un réseau d’irrigation. L’urgence réside dans la reprise des activités économiques et dans la reconquête de l’image d’un pays tranquille et accueillant, offrant une grande diversité touristique.
cabane P. Blancas.jpg Nandasmo.jpgPenas Blancas.jpg